Les Européens vont devoir convaincre la France vendredi que l'exception culturelle sera préservée dans les négociations commerciales avec les Etats-Unis, que Paris menace de bloquer par crainte d'aboutir à un "marchandage de la culture".
Réunis à Luxembourg, les ministres du Commerce des 27 doivent se mettre d'accord sur le mandat confié à la Commission pour négocier un méga-accord de libre-échange avec Washington. Ces décisions ont jusqu'ici toujours été prises à l'unanimité.
Les discussions s'annoncent difficiles car la France veut à tout prix exclure le secteur audiovisuel des négociations, au nom du respect de l'exception culturelle qui se traduit concrètement par des subventions au secteur audiovisuel et des quotas de diffusion. Paris brandit même la menace d'un veto.
"Si on n'exclut pas, d'entrée de jeu, la culture, il y a un risque que les services culturels deviennent (...) une monnaie d'échange. Or l'exception culturelle ne se négocie pas", selon la ministre française du Commerce extérieur, Nicole Bricq, qui représente la France vendredi.
Paris craint de mettre en péril la création, la diffusion et le financement des films européens, d'autant plus que de nouveaux moyens de diffusion sont en train d'émerger (télévision sur internet, vidéo à la demande).
Si le Parlement européen, les ministres de la Culture d'une quinzaine de pays, et nombre d'artistes prestigieux, de Costa-Gavras à Steven Spielberg, sont sur cette ligne, peu de capitales manifestent clairement leur soutien à Paris.
La Pologne, l'Italie, la Belgique, la Roumanie, l'Autriche partagent les préoccupations de la France, "mais tous ces pays ne sont pas prêts à afficher la même détermination", a reconnu Mme Bricq.
L'inflexibilité de la France inquiète à Bruxelles, car les Etats-Unis pourraient à leur tour demander d'exclure des domaines sensibles comme les marchés publics, les services financiers ou le transport maritime. "Commencer la négociation en enlevant des secteurs de la table serait une mauvaise politique" car "cela aurait un coût, pour protéger un secteur qui n'a pas besoin de l'être davantage" par rapport à ce que propose Bruxelles, estime une source européenne.
Pour infléchir la position de la France, la Commission va proposer aux Etats membres de revenir vers eux pour leur demander de nouveau leur accord lorsque les négociations avec les Etats-Unis se pencheront sur le secteur audiovisuel.
"D'ordinaire, la Commission négocie les accords de libre-échange au nom des 27", dans un "dialogue constant avec les Etats européens pour les tenir informés", a indiqué jeudi à l'AFP une source européenne proche des négociations.
Pour les négociations avec les Etats-Unis, elle "propose de revenir vers les Etats membres quand la question de l'audiovisuel sera sur la table" et "ceux-ci devront donner leur feu vert" aux décisions prises, a affirmé cette source. "Ce serait une première".
La France n'avait pas encore réagi jeudi soir à cette proposition.
Mais elle avait retoqué un précédent projet de mandat qui fixait des lignes rouges à ne pas franchir en ce qui concerne le secteur audiovisuel. Il prévoyait la protection des subventions et des quotas, qui pouvaient ensuite être adaptés aux nouveaux modes de diffusion numériques.
En cas d'échec des discussions, les dirigeants européens devraient reprendre la main lors de leur sommet à l'agenda déjà bien rempli à la fin du mois. Mais ce serait une nouvelle manifestation éclatante de la désunion des Européens qui affaiblirait leur position face aux Américains avant même le début des négociations.
Cela mettrait également en difficulté le Premier ministre britannique David Cameron, qui attend beaucoup d'un futur accord commercial avec les Etats-Unis et espère annoncer le lancement officiel des négociations lors du G8 qui se tient en début de semaine prochaine en Irlande du Nord.