par Bozorgmehr Sharafedin, Laurence Frost et Edward Taylor
TEHERAN/PARIS/FRANCFORT (Reuters) - PSA et Renault (PA:RENA), absents des Etats-Unis, restent idéalement placés pour tirer parti de la réouverture du marché automobile iranien alors que l'incertitude sur l'attitude du président Donald Trump concernant les sanctions contre Téhéran paralyse toujours les constructeurs américains mais aussi allemands.
Le président Hassan Rohani, candidat à sa réélection au scrutin du 19 mai, a mis en exergue l'offensive des constructeurs automobiles français comme une preuve que la détente et l'ouverture économique du pays va s'avérer payante pour les électeurs.
Volkswagen (DE:VOWG_p) et BMW (DE:BMWG) ont eux aussi de grandes ambitions en Iran mais celles-ci sont actuellement gelées à cause du manque de visibilité et de leur plus grande exposition en cas de représailles américaines, ont dit à Reuters des sources du secteur.
"Nous sommes bien conscients du potentiel de marché en Iran, mais nous ne pouvons nous permettre de prendre le moindre risque", a déclaré une source proche de Volkswagen.
Le groupe allemand a refusé de commenter les discussions en cours sur des investissements spécifiques.
L'EXEMPLE DU PEUGEOT 2008
Les premiers arrivés sont toujours en mesure de rafler la part du lion sur un marché privé pendant des années de modèles modernes et où des droits de douane de 40% donnent clairement l'avantage aux voitures assemblées localement.
Mehdi Monfared, dont la concession à Téhéran commercialise surtout des véhicules de la marque du constructeur national Iran Khodro, dit avoir été témoin d'une "explosion" de la demande.
"Les gens font moins attention à leur argent et ils utilisent leur épargne pour des voitures", a-t-il déclaré par téléphone. "Et les banques prêtent."
Le président Rohani, dont le principal adversaire au scrutin de vendredi est un dignitaire religieux conservateur hostile à l'ouverture des marchés iraniens, a salué le lancement de la production iranienne début mai du Peugeot (PA:PEUP) 2008 comme une preuve de l'intérêt de l'accord qu'il a signé en juillet 2015. Celui-ci prévoit une limitation du programme nucléaire iranien pendant au moins dix ans en échange d'une levée des sanctions internationales.
"Quand nous avons signé l'accord, les détracteurs ont dit que c'était juste un bout de papier qui n'entrerait jamais en vigueur", a déclaré le président sortant sur les réseaux sociaux, à côté d'une photo le représentant au volant du 2008 lors de la cérémonie de lancement du véhicule.
"Mais maintenant nous pouvons voir que les sanctions pesant sur l'industrie automobile ont été levées, que des accords de JV ont été conclus et que de nouvelles voitures sont actuellement fabriquées", a-t-il ajouté.
LES VENTES BONDISSENT
Les ventes de voitures en Iran ont bondi de 50% au premier trimestre, selon des données du cabinet IHS Automotive, tirées par les gains solides de Peugeot, de Renault et de l'iranien SAIPA.
Les constructeurs français, leaders historiques du marché, ont rapidement signé de nouveaux accords de production avec Iran Khodro et SAIPA une fois les sanctions levées. Les Allemands, eux, brillent par leur absence car contrairement aux Français, le marché américain est très important pour Volkswagen, BMW et Daimler (DE:DAIGn).
Les constructeurs germaniques sont du coup très vulnérables en cas de nouvelles sanctions américaines contre l'Iran. Volkswagen, qui a envisagé de produire localement avec l'iranien Mammut Khodro, a suspendu ses discussions en raison des incertitudes ambiantes, selon une source proche du groupe allemand.
"Toute entreprise opérant en Iran ou prévoyant d'entrer sur ce marché doit se demander ce qui arriverait en cas de changement fondamental de ligne à Washington", a-t-elle dit.
BMW a lui aussi étudié des opportunités de production, d'importation et de distribution dans le pays, avant d'estimer que le moment n'était pas adéquat, selon un autre responsable du secteur.
"Une fois que nous aurons vu General Motors (NYSE:GM) et Ford s'installer, nous pourrions réactiver nos projets, mais pas avant", a-t-il dit.
Plusieurs milliers de voitures haut de gamme allemandes - principalement des BMW et des Mercedes - sont déjà importées en Iran chaque année, mais via Dubaï et des pays tiers.
Complication supplémentaire, les SUV les plus en vogue auprès des riches Iraniens viennent souvent des usines américaines de Mercedes ou BMW, ou utilisent des composants "Made in USA".
Si les sanctions ont été pour la plupart levées après l'accord de 2015, Washington a maintenu ses propres restrictions sur les transactions financières avec l'Iran, ce qui rend difficile une reprise intégrale des affaires.
PRIX ÉLEVÉS
Malgré la pression américaine, la production iranienne a rebondi à 1,23 million de voitures l'an dernier, contre 796.000 en 2013. IHS s'attend à ce qu'elle atteigne 1,34 million cette année et 1,49 million en 2018, se rapprochant ainsi du pic de 1,65 million atteint en 2011.
Renault a quant à lui déjà introduit sa citadine low cost Sandero aux côtés de la berline Tondar (l'ancienne Logan) et projette une nouvelle usine pour porter sa capacité de production annuelle à 350.000 véhicules, contre 200.000 à l'heure actuelle.
Au premier trimestre, les immatriculations du groupe ont plus que doublé à 47.000 voitures, selon IHS, faisant de l'Iran le sixième marché du groupe, tandis que celles de la marque Peugeot ont grimpé de 18% avant l'arrivée du 2008, mais aussi d'autres modèles du groupe - Citroën est programmé pour 2018.
Le coréen Hyundai fabrique de son côté sa compacte Accent, qui sera suivie par les citadines i10 et i20 mini. Les marques chinoises, comme Chery, tiennent pour leur part à défendre les positions d'investissement qu'elles ont réussi à occuper lorsque les sanctions leur ont laissé le champ libre.
Les nouveaux modèles pourraient toutefois vite s'avérer inabordables. Les concessionnaires de Téhéran s'attendent à ce que le nouveau SUV urbain 2008 de Peugeot soit proposé autour de 24.000 dollars (22.000 euros), soit un niveau équivalent à l'Europe et plus de trois fois le revenu moyen d'un ménage urbain en Iran.
Mais ce véhicule, par exemple, fait figure de symbole et pourrait à ce titre bénéficier d'un accueil où l'aspect financier n'est pas le seul critère en jeu.
"Le lancement de 2008 était très important, je crois ; à ma connaissance, c'était l'une des réalisations de la politique de Rohani post-signature (de l'accord sur le nucléaire)", a déclaré à Reuters Jean-Christophe Quémard, directeur de la région Moyen-Orient de PSA.
"Vu les temps d'exécution des projets (en Iran), je crois qu'il n'y en a pas beaucoup et donc, de fait, ça devenait une bonne illustration, ça a été utilisé à ce titre-là."
(Avec Andreas Cremer à Berlin et Gilles Guillaume à Paris, édité par Dominique Rodriguez)