par Andrew Torchia et Tom Arnold
DUBAI (Reuters) - La crise diplomatique entre le Qatar et certains de ses voisins du Golfe pourrait leur coûter des milliards de dollars en échanges commerciaux et investissements et augmenter leurs coûts d'emprunt dans un contexte de fléchissement des cours pétroliers.
Le Qatar, doté d'un fonds souverain estimé à 335 milliards de dollars, paraît pouvoir surmonter la crise née de la rupture des liaisons aériennes, maritimes et routières décidée par l'Arabie saoudite, Bahreïn, les Emirats arabes unis et l'Egypte.
Les infrastructures portuaires récemment agrandies de l'émirat qatari font qu'il pourra continuer ses exportations de gaz naturel liquéfié (GNL) qui lui ont valu un excédent commercial de 2,7 milliards de dollars en avril et importer par voie maritime les biens qui transitaient auparavant par la frontière saoudienne, dorénavant fermée.
Mais certains pans de l'économie qatarie risquent de souffrir si la crise dure des mois, perspective qui a provoqué une chute de plus de 7% de la Bourse de Doha lundi.
La compagnie aérienne Qatar Airways, fer de lance de l'émirat dans sa volonté de devenir une destination touristique, risque de subir des pertes du fait de son interdiction de séjour dans certains des aéroports les plus importants du Moyen-Orient.
Le Qatar a emprunté localement et à l'étranger pour financer un plan de grands travaux de 200 milliards de dollars car il doit accueillir le Mondial de football en 2022. La baisse des emprunts de l'émirat lundi laisse penser qu'il lui reviendra plus cher d'emprunter, au risque peut-être de ralentir certains projets.
Les emprunts d'autres pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG), qui en compte six, n'ont guère bougé lundi mais des banquiers estiment que c'est l'ensemble de la région qui risque de devoir payer plus pour emprunter si la querelle diplomatique persiste.
"Si le contentieux se prolonge, les ramifications risquent d'être énormes", a dit l'un d'eux. "Les gérants d'actifs ne feront aucune différence entre le Qatar et le reste du CCG".
Dans la mesure où leurs économies sont très dépendantes du pétrole et du gaz, les Etats du CCG n'ont que de faibles relations commerciales et d'investissement entre eux, ce qui limitera en soi les retombées économiques de leur différend. Les EAU sont le premier partenaire commercial du Qatar au sein du CCG mais leur cinquième seulement au niveau mondial.
"ESCALADE"
De même, l'Arabie saoudite et les autres Etats du Conseil ne représentent habituellement que 5% à 10% des échanges du marché boursier qatari, selon ses propres données, ce qui semble impliquer que même un retrait total de la cote de ces pays n'aurait que des répercussions limitées.
Mais la situation est différente dans d'autres domaines. La contribution de l'Arabie saoudite et des Emirats au 1,05 milliard de dollars d'importations alimentaires du Qatar a été de 309 millions de dollars en 2015. La plupart de ces importations, surtout celles de produits laitiers, ont transité par la frontière saoudienne et Doha devra a priori trouver des solutions de rechange.
Les coûts dans le secteur du bâtiment risquent également d'augmenter et d'alimenter l'inflation parce que l'aluminium et d'autres matériaux de construction ne peuvent plus être importés par voie terrestre.
L'Arabie saoudite, les Emirats et Bahrein avaient rappelé leurs ambassadeurs du Qatar pendant huit mois en 2014, Doha étant déjà soupçonné de soutenir les factions islamistes mais cela avait eu un impact économique et financier minime parce que les voies de circulation étaient restées ouvertes.
On ne sait pas si Ryad pourra convaincre d'autres pays de rompre leurs liens avec le Qatar mais le royaume saoudien pourrait obliger les entreprises étrangères à choisir entre lui et l'émirat, mettant en avant son marché bien plus important et surtout qu'il s'emploie à ouvrir par le biais de réformes économiques.
Des banquiers basés au Caire ont signalé lundi que certaines banques égyptiennes avaient cessé toute transaction avec leurs homologues qataries. On ignore si les banques du CCG feront de même. Des banquiers des Emirats ont dit à Reuters qu'ils attendaient les instructions de leur banque centrale.
La Bourse de Dubaï et d'autres places du Golfe se sont repliées lundi, mais pas autant que celle de Doha, attestant pourtant de l'inquiétude des investisseurs locaux.
"Toute le monde espère que la voix de la raison s'imposera et que les choses s'apaiseront; mais pour l'heure c'est l'escalade", a dit Mohammed Ali Yassine, directeur général de NBAD Securities, un courtier d'Abou Dhabi.
(Saeed Azhar; Wilfrid Exbrayat pour le service français)