Carrefour va devoir rendre à des fournisseurs 17 millions d'euros perçus indûment au titre des "marges arrières" et régler en sus une amende de 2 millions, en vertu d'un arrêt de la Cour d'appel de Paris qui constitue l'une des plus lourdes condamnations dans ce type de procédures.
Tous les ans, les distributeurs et leurs fournisseurs signent des contrats qui régissent leurs relations (tarifs, modalités de livraison, pénalités, mise en valeur des produits en magasin...).
A plusieurs reprises, l'Etat a poursuivi des distributeurs en justice pour des clauses qu'il estimait abusives dans certains de ces contrats. Il se substitue ainsi aux fournisseurs, estimant qu'ils pâtissent d'un rapport de force défavorable, car ils risqueraient en agissant eux-mêmes d'être "déréférencés", autrement dit retirés des rayons.
En 2006, la Direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes (DGCCRF) avait ainsi épluché les accords de partenariat entre Carrefour et 16 fournisseurs.
Considérant que le groupe avait bénéficié de "rémunérations manifestement disproportionnées", le ministère de l'Economie avait saisi la justice en 2008.
Carrefour, condamné en première instance en 2009 par le tribunal de commerce d'Evry à une amende de 2 millions d'euros, avait fait appel.
Dans une décision du 2 février dernier, révélée par le magazine spécialisé LSA et consultée vendredi par l'AFP, la Cour d'appel de Paris a non seulement confirmé l'amende de 2 millions d'euros, mais aussi ""ordonné" la restitution par Carrefour au Trésor Public "des sommes indûment perçues au titre de ces contrats", d'un montant total de 17 millions d'euros.
A charge pour le Trésor public de reverser l'argent aux fournisseurs jugés lésés dans les années 2005-2006, dont Malongo, Rana, la papeterie Hamelin...
Rémunérations disproportionnées
La Cour d'appel a jugé que Carrefour avait obtenu "des rémunérations manifestement disproportionnées au regard des services rendus ou ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu".
Ces sommes constituaient des "marges arrières", c'est-à-dire des ristournes déguisées que les distributeurs demandent au titre d'une coopération commerciale (mise en valeur d'un produit sur un rayon, présence dans un catalogue...), réelle ou non.
"La simple communication à un fournisseur d'un plan d'implantation de ses produits dans les rayons, sans qu'il dispose de quelque latitude pour peser sur les choix du distributeur" et qu'il peut connaître par "une simple visite" en magasin, "ne peut être considérée comme un service rendu", a fait valoir le ministère de l'Economie cité dans l'arrêt. Un service pourtant facturé 2 à 11% du chiffre d'affaires des fournisseurs.
De même, Carrefour facturait des études censées permettre aux fournisseurs de développer les ventes de leurs produits, à des prix "parfois dix ou vingt fois supérieurs" à ceux réclamés par des "panélistes" (instituts spécialistes de données de la grande consommation comme AC Nielsen et IRI), pour des prestations "non pas identiques mais néanmoins comparables".
Carrefour, qui conteste tous les faits qui lui sont reprochés, va se pourvoir en Cassation, a annoncé sa direction à l'AFP.
Il assure que les prestations mises en cause "correspondaient à des services effectivement rendus" qui "procuraient un avantage évident" aux fournisseurs et qu'il évalue non pas à 17 millions d'euros mais à 2,4 millions d'euros.
En octobre 2009, Leclerc avait lui été condamné par la cour d'appel de Versailles à rétrocéder à 28 fournisseurs 23,3 millions d'euros, perçus sans contrepartie commerciale durant les années 1999-2001.
En novembre 2011, le Tribunal de commerce de Paris a condamné une nouvelle fois Leclerc, cette fois à une amende d'un million d'euros, pour avoir demandé à ces fournisseurs de lui restituer à leur tour ces 23,3 millions d'euros.