"Considérés comme des rebuts de la société, nous nous sommes recyclés nous-mêmes": en banlieue de Milan, des chômeurs laissés sur le carreau par la faillite de leur employeur occupent l'usine abandonnée pour y lancer une activité de récupération de composants.
Le projet de réappropriation de ce vaste site industriel laissé par feue la société Maflow, jadis prestigieux fabricant de composants de climatisation automobile, est illégal, mais toléré par les autorités et par le propriétaire des lieux, une société du groupe bancaire Unicredit.
Le site, après divers rebondissements, a définitivement fermé ses portes à la fin de l'année dernière après avoir licencié 330 personnes entre 2010 et 2012.
L'usine, la devanture bardée de banderoles revendicatrices, abrite à présent deux groupes: l'un, informel, dit "Occupy Maflow", à l'origine cet hiver de l'occupation de la fabrique, et l'autre "Ri-Maflow", qui a pris en mars 2013 une forme légale de coopérative sociale et travaille à sa reconversion en site auto-géré. Soit une cinquantaine de personnes au total.
Le projet, mûri depuis l'été 2012 au fil des luttes pour la préservation de l'usine, n'en est encore qu'à ses débuts mais sa principale activité tournera autour du recyclage et de la réparation d'appareils électriques et électroniques destinés à la casse. Une salle reconvertie en atelier accueille déjà des piles de vieilles tours d'ordinateurs, des monceaux de claviers jaunis et quelques outils.
D'autres sont prévues ou en cours de lancement: accueil de marchés solidaires et biologiques, espace dédié aux vieux métiers disparus, bibliothèque, etc. Un petit coin de l'usine a aussi été aménagé pour accueillir deux réfugiés africains, rescapés des prisons de Mouammar Kadhafi. Ils y ont déjà mis sur pied une petite activité de "ciclofficina" (atelier de réparation de bicyclettes).
Pour Michele Morini, 43 ans, ancien employé aujourd'hui membre de Ri-Maflow, la démarche du collectif est simple: "Il n'y a pas de travail à l'extérieur, nous allons donc le concevoir et l'inventer nous-mêmes. Mais nous avons besoin d'un endroit, donc nous sommes revenus sur les cendres de Maflow".
Changer de stratégie
"Chercher du travail coûte cher. Après deux ans de recherche, nous nous sommes dit qu'il fallait changer de stratégie. Nous espérons avoir la chance des débutants, réussir à concevoir quelque chose qui ait du sens, d'écologiquement utile, d'assez simple à lancer, et qui n'implique pas l'achat d'équipements coûteux", souligne-t-il, insistant sur la "dignité" retrouvée grâce au travail.
"La valeur ajoutée (du projet) est de ne laisser échapper aucune ressource: la planète à présent est à bout de forces. Les déchets sont des agglomérats de ressources qui doivent être ré-extraits et redistribués", poursuit-il.
Le mouvement Ri-Maflow s'inspire librement des sociétés ouvrières d'aide mutuelle nées dans la 2è moitié du XIXè siècle pour pallier le manque de protection sociale, et dont les principes étaient "solidarité, égalité et autogestion". Il se revendique aussi des "fabricas recuperadas" d'Argentine, sites de production repris en main par leurs ouvriers après la crise financière de 2001 et pour certains légalisés depuis.
Le préfixe "Ri" fait référence au mot "renaissance" (rinascita) mais aussi à d'autres "belles choses comme réutilisation, recyclage, réappropriation, révolution", selon le site du mouvement.
L'objectif des 2-3 prochaines années est de faire travailler de 200 à 300 personnes dans l'ex-Maflow.
"Les perspectives sont bonnes", affirme Pietro Calvi, 46 ans, lui aussi participant au projet. Selon lui, le renforcement attendu des normes européennes pour le recyclage de ce type de déchets risque de mettre en difficultés l'Italie, très en retard en la matière, et devrait donc favoriser l'entreprise.
Michele Morini balaye toute référence politique, mais plaide pour que son cas et celui des Ri-Maflow "fassent réfléchir" sur ce qui apparaît désormais comme une "situation critique, où les voies normales, conventionnelles, banales n'offrent plus de réponse".
"Je n'aurais jamais pensé arriver à ce point. Je n'ai jamais été un révolutionnaire", souligne-t-il, concluant: "Même les modérés doivent emprunter des voies à la limite, risquées, qu'ils n'auraient jamais pensé devoir prendre: c'est très clair, soit ils le font, soit ils ne mangent pas".