La vie suivait son cours normalement mercredi pour les Chypriotes-Turcs du Nord de l'île méditerranéenne, loin de la tourmente financière dans laquelle étaient plongés leurs "cousins" du Sud, qui les ont maintenus sous embargo et hors de l'Union européenne.
"Pour la première fois, cet isolement est positif pour le Nord de Chypre. L'ironie du sort veut que l'embargo nous a aidés", déclare Maher Zaheer, directeur général adjoint de la banque commerciale Credit West, assurant que son établissement ne détient aucun actif toxique.
"Les Chypriotes-grecs ont investi à l'étranger et fait venir des fonds de l'extérieur, alors ils ne contrôlent plus rien", insiste ce Pakistanais de 38 ans installé depuis 20 ans dans la République turque de Chypre-Nord (RTCN), une entité reconnue uniquement par Ankara.
"Nous n'avons pas besoin du monde extérieur. Tous les fonds sont à Chypre et viennent de Chypre", affirme-t-il, même si le secteur bancaire local fonctionne en l'absence de toute réglementation puisque le pays n'a signé aucun traité.
"Le fait de ne pas avoir été intégrés dans le système bancaire mondial est positif", affirme ce banquier dans le QG de Credit West, un bâtiment moderne de sept étages dans la partie nord de Nicosie.
Chypre et sa capitale sont coupées en deux depuis l'invasion turque de juillet 1974 à la suite d'une tentative de coup d'Etat visant à rattacher Chypre à la Grèce.
Dimanche soir, le président Chypriote-grec Nicos Anastasiades a d'ailleurs estimé que la crise actuelle était la plus grave pour le pays depuis cette date.
Des dizaines de milliers de militaires turcs sont stationnés en RTCN, où les Chypriotes-turcs de naissance, désormais moins nombreux que les Turcs venus du continent, considèrent que la communauté internationale a toujours favorisé les Chypriotes-grecs.
"de l'autre côté le paradis c'est fini!"
Si l'ensemble de l'île est entrée dans l'UE en 2004, seul le Sud a effectivement rejoint l'Union, juste après l'échec d'un plan de réunification accepté par les Chypriotes-turcs mais massivement rejeté par les Chypriotes-grecs. Mais mercredi, c'est le Sud qui cherchait frénétiquement un "plan B" pour éviter la faillite, après le rejet par le Parlement d'une taxe inédite sur les dépôts bancaires réclamée par les bailleurs de fonds internationaux en contrepartie d'un prêt de 10 milliards d'euros.
Et alors que les banques étaient fermées pour la 5e journée consécutive au Sud, par crainte d'une fuite massive des capitaux, les institutions financières du Nord fonctionnaient normalement.
"C'est ici le paradis! De l'autre côté, le paradis c'est fini", explique un officier sirotant son café sous le soleil avec d'autres policiers Chypriotes-turcs.
Tandis que la crise bancaire chypriote faisait la une de la presse internationale, les journaux chypriotes-turcs titraient sur l'arrestation d'un Britannique recherché et le suicide d'un petit-fils de Rauf Denktash, président historique de la RTCN décédé en 2012.
"Je me fiche" de la crise au Sud, assure Ali Cenap Saygin, un bijoutier dont la boutique est située à quelques mètres du point de passage piétonnier de la ligne de démarcation dans la vieille ville de Nicosie. "Pendant longtemps nous avons eu des problèmes, maintenant ils ont leurs problèmes, c'est la vie".
La RTCN a connu sa propre crise bancaire en 2002, en même temps que la Turquie. Le commerçant se reprend cependant rapidement: "Ce n'est pas bon pour nous non plus, parce que les deux côtés ont des liens économiques".