Après l'affaire Cahuzac, les banques suisses apparaissent plus que jamais déterminées à régler le problème de l'argent non déclaré au fisc dans les pays de leurs clients pour préserver l'avenir de la place financière helvétique, selon plusieurs banquiers et experts interrogés par l'AFP.
"On se dirige vers un modèle d'argent déclaré, mais je ne peux pas vous dire dans quel délai, ou sous quelles forme", a déclaré à l'AFP un haut responsable d'une grande banque suisse ayant requis l'anonymat.
Pressées de toutes parts, les banques suisses essayent pour l'instant de régler la question au cas par cas, pays par pays.
Une solution a été trouvée avec les clients américains. Face à la menace de voir ses banques interdites d'activités aux Etats-Unis, la Suisse a en effet signé un accord avec Washington interdisant de facto les comptes non déclarés.
En Espagne, il y a eu une amnistie fiscale, ce qui a réglé le problème des clients espagnols.
Avec d'autres pays, tels que l'Autriche et la Grande-Bretagne, la Suisse a signé un accord pour régulariser les fonds non déclarés, avec un impôt libératoire préservant l'anonymat des détenteurs de comptes. Avec l'Allemagne, ce type d'accord n'a pas été ratifié par le Parlement, qui l'a jugé trop indulgent à l'égard des fraudeurs.
Du coup, deux grandes banques suisses, Credit Suisse et Julius Bär, ont décidé de changer de stratégie en ce qui concerne les fraudeurs du fisc allemand et sont passées à la vitesse supérieure.
Ces deux banques demandent à leurs clients allemands de régulariser leur situation vis-à-vis de leur fisc, faute de quoi, leurs comptes seront fermés.
Pour les clients français, aucune décision n'a encore été annoncée par les banques.
Pour l'UBS, la "politique de la banque est claire", le client doit être "conforme sur le plan fiscal", a rappelé lundi un de ses porte-parole.
Selon les évaluations d'un professeur de droit bancaire, plus de la moitié des fonds européens placés dans les banques suisses ne sont pas déclarés.
Si les banques suisses veulent appliquer jusqu'au bout leur politique de transparence fiscale, les conséquences pourront être très lourdes à supporter pour certains établissements, dont le gros de la clientèle est composé de fonds non déclarés.
En effet, si le client se refusait à déclarer les fonds, la banque se verrait dans l'obligation de fermer le compte, comme le prévoit l'avocat fiscaliste genevois Philippe Kenel.
"Les grandes banques suisses d'abord, puis les petites, vont fermer les comptes non déclarés détenus par les Français", a-t-il prédit.
"Cela se passe déjà pour les clients allemands, cela va se faire pour les clients français", a-t-il ajouté.
Selon un banquier genevois, "ce qui est sûr aujourd'hui, c'est que la masse des clients non déclarés va diminuer".
Pour un analyste d'une grande banque zurichoise, l'évasion fiscale est devenue aujourd'hui "un vrai problème pour les banques suisses, car cela cause un tort à leur image".
"Il y a quelques années, les banques estimaient que la question fiscale était le problème du client, aujourd'hui cela a changé, c'est devenu un problème pour la banque", a-t-il poursuivi.
Les banques sont cependant désarmées en pratique face à un client fraudeur, car elles sont obligées de croire en sa bonne foi.
Demander à un client de présenter sa déclaration fiscale dans son pays d'origine est mission impossible, car le client refuserait d'office, indique-t-on dans les milieux bancaires.
Lui faire signer une déclaration sur l'honneur, attestant qu'il a bien signalé son compte suisse au fisc de son pays, revient à lui faire aveuglément confiance, ce qui peut-être ensuite délicat à gérer.
Samedi dernier, le journal zurichois Tages Anzeiger a révélé, citant ses propres sources, que l'ancien ministre français du Budget Jérôme Cahuzac avait produit un "certificat fiscal falsifié" à la banque privée Julius Bär, pour attester que ses fonds étaient déclarés.
La banque a été convaincue par le document et a procédé à l'opération demandée par l'homme politique français, soit le transfert des fonds à Singapour.
Selon les dernières statistiques disponibles auprès de la Banque nationale suisse, les banques suisses géraient en 2011 31,78 milliards de francs suisses (26 milliards d'euros) appartenant à des clients français. A ce chiffre, il faut ajouter les fonds gérés par des sociétés fiduciaires suisses pour le compte de clients français, soit 2,55 milliards de francs suisses.