La taxe sur les transactions financières (TTF), que 11 pays européens veulent mettre en place, suscite inquiétudes et interrogations quant à son champ d'application et ses effets sur l'économie, et pourrait s'écarter au final de celle proposée par la Commission européenne, censée rapporter jusqu'à 35 milliards d'euros par an.
Le projet présenté en février par l'exécutif européen prévoit une taxe de 0,1% sur les actions et les obligations et de 0,01% sur les produits dérivés. Les 11 pays participants sont la France, l'Allemagne, la Belgique, le Portugal, la Slovénie, l'Autriche, la Grèce, l'Italie, l'Espagne, la Slovaquie et l'Estonie.
Mais les critiques s'expriment de plus en plus ouvertement, y compris dans ces pays. Le gouverneur de la Banque de France, Christian Noyer, qui a ainsi récemment mis en garde contre le fait que la TTF pourrait conduire à "détruire" certains compartiments des marchés financiers et "ne rapporterait rien".
Des inquiétudes similaires avaient déjà été avancées par le patron de la Banque centrale allemande, Jens Weidmann. La TTF risque d'affecter les opérations de refinancement à court terme des banques, ce qui pourrait obliger la Banque centrale européenne à leur venir en aide, a-t-il dit.
Si les opérations de prise en pension (ou repo) sont concernées, "cela risque de créer un problème de liquidités alors que le marché interbancaire est déjà sous perfusion de la BCE", reconnaît une source diplomatique d'un des 11 pays participants.
Autre sujet de discussion: quels produits dérivés taxer ou ne pas taxer. Ces produits sont variés, et certains ne concernent pas du tout le secteur bancaire. "Quand des dérivés ne donnent lieu à aucun flux financier, que peut-on taxer?", s'interroge la même source.
Plus généralement, "pour qu'une taxe soit bonne, il faut que l'assiette ne soit pas mobile", souligne une autre source, proche des milieux bancaires, qui pointe les dangers d'une fuite d'activités vers d'autres places financières hors d'Europe et ses répercussions sur l'emploi.
Quoi qu'il en soit, les discussions vont bon train sur le champ d'application de la taxe, selon plusieurs sources diplomatiques. "Il y a plusieurs modèles en discussion, et on ne peut pas s'attendre à ce que la proposition de la Commission soit acceptée en l'état", explique l'une d'entre elles.
Niveau dissuasif
Selon des informations de presse, la France et l'Italie pousseraient par exemple pour exclure les obligations d'Etat du champ de la taxe. Quant au ministre français des Finances, Pierre Moscovici, il a souhaité élargir l'assiette pour qu'elle porte aussi sur les devises. Mais cela pose un problème à certains partenaires de la France, qui soulèvent la question de la conformité d'une telle taxe avec les traités européens.
Outre l'assiette, se pose la question des taux. Ici et là est évoquée la possibilité de réduire le taux appliqué aux actions et obligations, beaucoup jugeant que 0,1% correspond à un niveau dissuasif.
Mais c'est un débat prématuré, selon les sources diplomatiques interrogées. "Pour l'instant on s'occupe du champ d'application, et ensuite on s'occupera du taux", explique l'une d'entre elles.
De ce taux, et aussi d'une éventuelle fuite des capitaux, dépendront les recettes de la taxe. "Il y aura 90% d'évasion", met en garde la source proche des milieux bancaires. Pour un des diplomates interrogés, en tout cas, il est peu probable que la TTF rapporte les 30 à 35 milliards d'euros par an promis par la Commission. "On n'y a jamais tellement cru", reconnaît-il.
Reste aussi, quel que soit le produit de la taxe, à décider de son affectation, et sur ce point, les Etats participants sont plutôt divisés, les idées allant de l'aide au développement à l'alimentation du budget européen.
Une chose est sûre, un accord n'est pas pour demain, n'en déplaise à M. Moscovici, qui a exprimé le désir d'aller "vite" et "fort" sur le sujet, et rappelé l'objectif d'une mise en oeuvre fin 2014. D'autant que les élections prévues en septembre en Allemagne risquent de retarder l'avancement du dossier.
L'entourage du commissaire européen chargé de la Fiscalité, Algirdas Semeta, souligne en tout cas que "sur un sujet aussi complexe et sensible, le travail technique prend du temps et il y a beaucoup d'idées, d'opinions et de suggestions différentes sur les moyens d'arriver à un compromis".