Les pays de l'Opep ont affiché leur sérénité face au bond de la production de pétrole de schiste aux Etats-Unis, mais ce phénomène risque, selon des experts, d'exacerber les rivalités au sein du cartel dont les membres seront diversement affectés.
"L'Opep sera là longtemps après le pétrole de schiste", a lancé le secrétaire général de l'organisation, Abdallah El-Badri vendredi à l'issue d'une réunion ministérielle à Vienne.
La production de pétrole de schiste (shale oil) et de pétrole dit "compact" (tight oil), dont l'extraction a été rendue possible par le recours à la fracturation hydraulique, comme le gaz de schiste, est en plein essor aux Etats-Unis, et vient s'ajouter à l'extraction à grande échelle des sables bitumineux au Canada.
Dans un rapport publié le mois dernier, l'Agence internationale de l'énergie a prédit que l'exploitation de ces ressources non conventionnelles en Amérique du Nord créerait une "onde de choc" pour le marché pétrolier mondial, comparable dans ses effets à la hausse de la demande chinoise d'or noir.
Elles devraient fournir la moitié des nouvelles capacités de production de pétrole d'ici 2018.
Mais l'Opep, qui s'est réunie vendredi à Vienne et a maintenu à cette occasion son plafond de production à 30 millions de barils par jour (soit un peu plus du tiers de l'offre mondiale), a relativisé ce phénomène.
"Je ne pense pas que ce soit une grande menace" pour le cartel, a déclaré M. El-Badri. "C'est un nouvel ajout au bouquet énergétique et nous le saluons", a-t-il ajouté.
Il faut dire que le cartel fondé en 1960 en a vu d'autres, et s'est adapté à l'émergence successive de nouvelles régions pétrolières comme le Golfe du Mexique, la Mer du Nord ou plus récemment le Brésil.
Mais l'assurance du groupement tranche avec les avertissements de certains analystes.
"Le pouvoir de l'Opep sur le marché va diminuer à cause de la révolution du schiste américain", même si "pour l'instant, cela affecte surtout les producteurs d'Afrique de l'Ouest", a estimé Torbjorn Kjus, de la banque DNB.
Les pays de l'Opep ne sont en effet pas tous logés à la même enseigne face à ce défi, le Nigeria et l'Angola ayant le plus à craindre dans l'immédiat, car ils produisent du brut léger d'une qualité similaire au pétrole compact américain, et risquent donc d'être privés d'un important débouché.
"C'est un grand souci pour nous", a confirmé à Vienne la ministre nigériane du Pétrole, Diezani Alison-Madueke, rappelant que l'Afrique a besoin d'exportations pérennes pour assurer son propre développement.
Selon l'analyste de DNB, l'Arabie Saoudite, plus gros producteur de l'Opep, devrait soulager dans un premier temps ses partenaires et se sacrifier en réduisant volontairement sa propre production, mais devrait leur demander de partager ses efforts à partir de 2015, mettant ainsi à l'épreuve la solidité du groupement.
"Les confrontations au sein de l'Opep vont s'intensifier, en particulier entre l'Arabie Saoudite (...) et l'Irak", dont la production est en forte croissance, renchérit Andrey Kryuchenkov, de la banque VTB.
"La discipline en matière de production va devenir la question principale au sein du groupement", juge-t-il.
Une autre interrogation porte sur la capacité des pays de l'Opep à s'adapter en écoulant leur brut vers de nouveaux marchés, en particulier les économies asiatiques en forte croissance.
"Nous avons de grandes possibilités pour écouler notre brut, car nous avions heureusement décidé de diversifier nos marchés", et "désormais nous vendons (du pétrole) à la Chine et à l'Inde", a fait valoir le ministre vénézuélien Rafael Ramirez.
Par ailleurs, un autre facteur incite à ne pas enterrer trop vite le cartel. "L'Opep restera un producteur pivot, grâce à ses capacités de production non utilisées", prédit M. Kryuchenkov.
Une allusion aux cruciales capacités excédentaires de l'Opep, concentrées en Arabie Saoudite, qui lui permettent de compenser toute chute soudaine de la production dans un autre pays, jouant en quelque sorte le rôle de "banque centrale" du pétrole.