Trois des neuf dirigeants de la Banque du Japon (BoJ) ont jugé irréaliste l'objectif réaffirmé jeudi par la BoJ d'atteindre une inflation de 2% dans deux ans, une brèche dans la confiance quasi-unanime affichée jusque-là par l'institut sur sa politique d'assouplissement.
Ces trois dirigeants se sont opposés à l'inscription dans le rapport semestriel de la BoJ sur l'économie et les prix d'une phrase affirmant que l'inflation, au Japon, "devrait atteindre environ 2% (...) vers la fin de la période concernée par nos prévisions", c'est-à-dire entre avril 2015 à mars 2016.
Certes les trois "opposants" ne sont que des membres "de base" du comité de politique monétaire gouverné par Haruhiko Kuroda (avec deux adjoints), qui a révélé cette dissension en conférence de presse après la publication du rapport. Il n'empêche que leur voix dissonante a brisé la quasi-unanimité qui régnait depuis l'assouplissement drastique engagé en avril sous la houlette de M. Kuroda pour en finir avec une quinzaine d'années de déflation handicapante.
Or, cet objectif d'inflation de 2% (hors produits périssables et effet d'une hausse de la taxe sur la consommation) jugé atteignable par le reste du comité, est au coeur de la stratégie de relance de la banque centrale et de sa vision optimiste de l'avenir.
"L'économie japonaise se reprend de façon modérée. Les exportations ne progressent que lentement (à cause des difficultés de la conjoncture mondiale) mais la demande intérieure est solide, notamment la consommation privée", a ainsi jugé l'institut dans son rapport.
Selon la banque, la troisième puissance économique mondiale pourra encore compter à l'avenir sur une demande intérieure vigoureuse, tout en bénéficiant d'une amélioration du climat international propice aux exportations.
D'après une moyenne des prévisions établies par chacun des membres du comité de politique monétaire, la croissance de l'archipel pourrait atteindre 2,7% entre avril 2013 et mars 2014, puis 1,5% lors des deux années budgétaires suivantes.
Hormis la dissension sur l'objectif d'inflation, l'instance de direction est restée unanime pour continuer d'élever son stock d'obligations d'Etat de 50.000 milliards de yens par an (370 milliards d'euros). Par ce biais et d'autres opérations sur les marchés, la BoJ veut doubler en deux ans la masse monétaire, c'est à dire l'argent liquide en circulation et les réserves des banques, pour inciter ces dernières à prêter et les entreprises et particuliers à emprunter pour investir et consommer.
Il s'agit de l'une des trois "flèches" sorties par le Premier ministre conservateur, Shinzo Abe, pour relancer l'économie du Japon, dont la croissance ralentie depuis les années 1990 a souffert du tsunami et de l'accident nucléaire dans le nord-est du Japon en mars 2011.
M. Abe, qui a choisi M. Kuroda pour assouplir la politique monétaire, a aussi fait adopter en début d'année un plan public de relance équivalent à 80 milliards d'euros et en a annoncé en octobre un autre à venir de 40 milliards d'euros.
Il a également prévu des réformes réglementaires et lancé de vastes négociations de libre-échange pour doper le potentiel de croissance.
Aux Etats-Unis, la banque centrale (Fed) a également maintenu inchangée, mercredi, sa politique de soutien exceptionnel à l'économie, notamment l'achat mensuel pour 85 milliards de dollars de bons du Trésor et de titres liés à des emprunts hypothécaires.
"Contrairement à la Fed toutefois, la question pour la BoJ n'est pas de savoir quand elle va réduire son programme d'achat d'actifs, mais plutôt si elle va devoir augmenter son montant", a expliqué Julian Jessop, analyste à l'institut de recherche Capital Economics.
M. Jessop doute lui aussi que l'objectif d'inflation de 2% soit atteignable en l'état d'ici deux ans, aussi pense-t-il "que la BoJ annoncera de nouvelles mesures de soutien courant 2014".
Les indicateurs économiques japonais sont favorables ces derniers mois, avec une production industrielle en progrès régulier, une consommation des ménages solide, un taux de chômage au plus bas et une petite augmentation des prix au détail.
La croissance du produit intérieur brut (PIB) a nettement rebondi depuis le début de l'année mais des économistes pointent la stagnation des salaires et l'augmentation des tarifs de l'énergie comme d'importants facteurs de risque pour la consommation intérieure, pilier de l'activité sur fond d'exportations mitigées et d'importations renchéries.