PARIS (Reuters) - La classe politique française a salué mardi la décision de François Hollande de livrer en octobre un premier porte-hélicoptères Mistral à la Russie malgré la crise ukrainienne et les critiques émanant notamment de Londres et de Washington.
Le président français a annoncé lundi soir que ce contrat serait honoré, même si la livraison d'un second Bâtiment de projection et de commandement (BPC) commandé par Moscou dépendra de son "attitude" dans le dossier ukrainien.
"Le premier est quasiment achevé et va être livré, tel que cela est prévu, au mois d'octobre. Pour l'instant aucun niveau de sanction n'a été décidé pour empêcher cette livraison", a-t-il dit devant l'association de la presse présidentielle.
On explique de source française que seules des sanctions décidées par l'Union européenne pourraient empêcher la livraison du deuxième bâtiment, ce qui n'est pas à l'ordre du jour.
Les ministres des Affaires étrangères de l'Union européenne qui se réunissent mardi, pourraient s'accorder sur un durcissement des sanctions, mais ces dernières ne porteront pas sur les livraisons militaires, ajoute-t-on de même source.
François Hollande fait donc fi des avertissements de ses partenaires occidentaux après la destruction de l'avion de Malaysia Airlines dans l'est de l'Ukraine, jeudi dernier.
Le Premier ministre britannique, David Cameron, a expliqué lundi qu'une telle transaction serait "impensable" en Grande-Bretagne et un haut responsable de l'administration américaine a déclaré que les Etats-Unis étaient opposés à la vente.
"SOUVERAINETÉ NATIONALE"
La décision d'honorer la signature de la France a été saluée mardi à droite comme à gauche.
"Hollande ne recule pas, il livre le premier malgré le fait qu'on lui demande de ne pas le faire et il dit : 'le second, ça dépendra de la manière dont vous vous comportez', ce qui est une manière de faire pression sur M. Poutine", a déclaré le premier secrétaire du Parti socialiste, Jean-Christophe Cambadélis.
Pour lui, les critiques du Royaume-Uni, dont la City accueille de très nombreux oligarques russes, sont hypocrites.
"C'est un faux débat mené par des faux-culs. Ce n'est pas cela qui va amener Poutine à infléchir ses positions", a-t-il dit sur i>TELE. "David Cameron, quand on voit le nombre d'oligarques réfugiés financièrement à Londres, il devrait commencer à balayer devant sa porte."
L'ancien ministre UMP Xavier Bertrand, candidat à la primaire de son parti pour la présidentielle de 2017, estime que le second Mistral devra être lui aussi livré.
"La souveraineté nationale, c'est pour moi quelque chose d'essentiel et ce n'est pas parce que les Américains nous disent blanc qu'il faut faire exactement la même chose", a-t-il dit sur France Inter. "La parole de la France, la signature de la France, ça se respecte."
Selon lui, Paris ne pourrait plus jouer aucun rôle dans la crise ukrainienne si sa parole n'était pas honorée.
D'autant plus qu'un renoncement à la livraison du premier porte-hélicoptères d'une valeur de 1,2 milliard d'euros obligerait la France à dédommager Moscou.
UN CONTRAT VITAL POUR SAINT-NAZAIRE
Aux chantiers navals STX de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique), où 400 marins russes se familiarisent depuis un mois dans la plus grande discrétion à la manoeuvre des Mistral, on trouve normal que la livraison soit confirmée.
"Le navire était fini et pratiquement payé par la Russie, quelque part c'est un peu normal qu'il soit livré", a dit mardi à Reuters Johan Jardin, délégué syndical CFDT des chantiers navals qui construisent les deux navires pour le compte de DCNS et de la Direction générale de l'armement (DGA).
Il insiste sur le fait que le navire, dont la commande a selon lui contribué à sauver les chantiers, sera livré désarmé.
"Nous, on n'est que des sous-traitants, dans cette affaire. Que le navire soit livré à la Russie, vendu à un autre pays ou laissé en cale sèche en attendant que la situation en Ukraine s'apaise, ce n'est pas trop notre problème."
A la fois navire-amphibie, poste de commandement et hôpital embarqué, le Vladivostok – construit pour moitié à Saint-Nazaire et à Saint-Peterbourg – pourra transporter l'an prochain jusqu'à seize hélicoptères et déployer à terre 450 soldats et des "forces mécanisées", selon les documents officiels de STX.
Un deuxième Bâtiment de projection et de commandement (BPC), baptisé Sebastopol du nom de la ville de Crimée où la Marine russe stationne sa flotte, doit être livré fin 2015 à la Russie.
La commande comprenait également une option pour deux autres navires du même type, mais elle n'a pas été levée à ce jour.
(Yann Le Guernigou et Yves Clarisse, avec Guillaume Frouin à Nantes et service France)