Le gouvernement a tiré un trait sur le "tout TGV" et les politiques de transport pharaoniques, en approuvant les orientations du rapport de la commission Mobilité 21, remis jeudi, qui privilégie l'entretien du réseau existant, provoquant du même coup la grogne de nombre de "grands élus".
Les branches Ouest et Sud de la ligne à grande vitesse Rhin-Rhône ou encore la ligne Toulouse Narbone sont repoussées à un "horizon lointain", après 2050. Comme l'autoroute A26 entre Troyes et Auxerre ou l'A51 entre Gap et Grenoble, entre autres.
La commission, dirigée par le député PS du Calvados Philippe Duron, a revu à la baisse les ambitions de l'Etat qui figuraient au Schéma national des infrastructures de transport (Snit), fort de 70 grands projets pour une enveloppe de 245 milliards d'euros sur 25 ans.
Le ministre des Transports, Frédéric Cuvillier, s'est félicité que ce rapport mette un terme à une "liste à la Prévert (...) impossible à financer". Il a également salué le retour d'une "certaine forme de planification" et "de l'Etat stratège".
Le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, a approuvé ce constat, et prévoit "de reprendre à (son) compte les recommandations préalables (du rapport)". Il dévoilera le 9 juillet le grand plan d'investissement du gouvernement, qui comptera un volet transports.
Le rapport abandonne le "tout TGV" et les grands projets d'autoroutes auxquels la France s'était habituée (quatre lignes à grande vitesse sont actuellement en construction, entre Tours et Bordeaux, Le Mans et Rennes, Metz et Strasbourg et le contournement de Nîmes et Montpellier). Il met l'accent sur une priorité : l'entretien du réseau existant.
Un scénario optimiste retenu
Un scénario optimiste retenu
Ce réseau (routes, rail et ports), jugé "de haute tenue" par la commission, se dégrade depuis plusieurs années. Le rapport propose d'injecter 25 à 30 milliards d'euros d'ici à 2030, quoi qu'il arrive, pour assurer sa régénération.
Une fois cet entretien garanti, la commission esquisse deux scénarios pour financer les grands projets. Le premier, a minima, sans dépenses nouvelles de la part de l'Etat. L'autre "plus ambitieux", a été retenu par le gouvernement. Il prévoit une contribution supplémentaire de 400 millions d'euros par an au budget de l'Agence de financement des infrastructures de transports de France (AFITF).
"Nous allons retenir un projet autour du scénario deux", a déclaré Frédéric Cuvillier à l'AFP, en marge de la conférence de presse organisée pour la remise du rapport.
Ce plan affecte entre 28 et 30 milliards d'euros aux grands projets à l'horizon 2030, contre huit à dix milliards prévus dans le scénario plus modeste.
La version optimiste du rapport Duron maintient le lancement des travaux de la ligne à grande vitesse (LGV) Bordeaux-Toulouse avant 2030. Les autres LGV sont renvoyées après 2030, sans être condamnées : la commission préconise une révision de ses priorités tous les cinq ans en fonction des marges budgétaires.
Egalement au programme, de nombreux chantiers "ingrats mais nécessaires", a expliqué M. Duron à l'AFP. La commission recommande d'investir dans de grands "noeuds ferroviaires", destinés à désengorger de nombreuses gares, comme celle de Lyon et celle de Saint-Lazare à Paris, la Part-Dieu à Lyon ou Saint-Charles à Marseille.
La route et le fluvial font également partie des priorités avec notamment un passage à deux fois deux voies de la route Centre Europe Atlantique entre la Saône-et-Loire et l'Allier, ou l'amélioration de la desserte entre certains grands ports et la zone alentour.
"Discours de vérité"
"Discours de vérité"
Les nombreuses fuites du rapport dans la presse cette semaine ont polarisé le débat sur l'abandon du TGV pour mailler le territoire, au grand dam de certains élus.
"Le problème, c'est qu'on a laissé croire que le TGV était l'horizon indépassable du transport ferroviaire", estime M. Duron.
Une analyse partagée par les élus dont les territoires sont ou seront desservis par le TGV: le président (PS) de la région Rhône-Alpes Jean-Jack Queyranne a ainsi salué "le discours de vérité du rapport Duron" et le député PS de Gironde Gilles Savary (PS) a fait valoir que le rapport "n’(était) une surprise que pour ceux qui se sont laissés mystifier par la démagogie, prudemment non chiffrée, du Schéma national d’infrastructures de transport inspiré du double lobbying valenciennois du ministre de l’époque Jean-Louis Borloo et du groupe Alstom".
Jean-Louis Borloo (UDI) a dénoncé "la vision court-termiste" de l'aménagement du territoire livrée par le rapport Duron.
Du côté des élus qui voient s'éloigner la perspective de voir leur zone desservie par un TGV, c'est l'amertume qui domine. François Patriat (PS, Bourgogne) a demandé au gouvernement de "reconsidérer les préconisations" du rapport, quand, au centre de la France, Jean-Paul Denanot (PS) en a appelé au "développement équilibré des territoires" et donc à la construction rapide d'une LGV Poitiers-Limoges.
Même credo de la part de la députée-maire de Pau, Martine Lignières-Cassou (PS), en faveur de son Béarn, et des élus PS de la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur, qui ont estimé que différer une LGV chez eux (Marseille-Nice) serait "un mauvais coup porté à Marseille".
Les élus niçois Eric Ciotti (UMP) et Christian Estrosi (UMP) ne décoléraient pas jeudi et ont réclamé "le remboursement intégral des sommes engagées", soit "plusieurs millions d'euros, pour les frais de faisabilité".
Le rapport doit être présenté en juillet devant les commissions parlementaires.