L'accession laborieuse de la Russie à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) l'été dernier reste sujette à controverse dans le pays, où des pans entiers de l'économie s'estiment désarmés face aux "requins" du commerce mondial.
"N'aurait-il pas fallu se préparer et ensuite entrer à l'OMC, et pas l'inverse?" s'est interrogé le milliardaire Oleg Deripaska lors d'un débat au forum économique de Saint-Pétersbourg, qui s'est achevé samedi.
"L'OMC est une mer pleine de requins", a observé le patron de Rusal, premier producteur d'aluminium au monde.
Près de vingt ans de difficiles négociations auront pourtant été nécessaires pour que Moscou devienne le 156e membre de l'organisation arbitre des conflits commerciaux. Les pouvoirs russes ont consenti pour cela à réduire leurs droits de douanes, ce qui a été vu avec appréhension par certains acteurs de l'économie russe, réputée peu compétitive.
"Nos clients n'étaient pas prêts à cette concurrence", a martelé Oleg Deripaska, qui fournit des matières premières à un éventail très large d'industriels.
"Si rien n'est fait -et rien n'a été fait ces neuf derniers mois- je pense que le chômage va passer de 4% à 12%", a averti l'homme d'affaires, très influent en Russie.
De fait, près d'un an après l'accession du pays à l'OMC, les bienfaits sont difficiles à constater. Les chiffres du commerce extérieur montrent que les exportations ont baissé de 5% sur les trois premiers mois de l'année, tandis que les importations ont augmenté de 2,5%.
Le sujet est source de crispation au moment où la croissance économique du pays ralentit, affectant particulièrement l'activité industrielle.
"La compétitivité reste deux fois moindre ici qu'en dehors de la Russie", a déploré Siegfried Wolf, président du fabricant de composants automobile Rousskié Machiny.
"Il y a du progrès mais nous avons besoin d'aide", a-t-il ajouté.
"L'OMC offre des opportunités à la Russie, mais seulement si la Russie veut les utiliser", a souligné Arancha Gonzalez, l'une des responsables de l'OMC, appelant Moscou à investir dans l'innovation et les infrastructures.
Des députés du parti Russie Juste (centre gauche) ont dénoncé jeudi lors d'une conférence de presse les conséquences de l'entrée de la Russie dans l'OMC pour des secteurs comme l'agriculture, l'automobile ou la métallurgie.
Le gouvernement russe a d'ailleurs décidé d'aider les agriculteurs, confrontés à un bond des importations, à traverser la tempête.
"Ils sont trop nombreux, y compris au gouvernement, à voir l'adhésion à l'OMC non pas comme une opportunité mais comme une menace dont l'industrie russe doit être protégée", a déploré à Saint-Pétersbourg Peter Mandelson, ancien commissaire européen au commerce.
"Cette mentalité défensive a des conséquences: vous ne préparez pas l'économie à tirer avantage de ces pressions sur sa compétitivité", a-t-il ajouté.
M. Mandelson a jugé que la Russie devait en profiter pour se moderniser et faire valoir ses droits face aux pratiques anti-concurrentielles de certains pays comme la Chine.
Vladimir Poutine, qui a annoncé lors du forum de Saint-Pétersbourg des mesures pour attirer les investisseurs, s'était rangé à l'adhésion à l'OMC après l'avoir longtemps critiqué.
"Il nous faut utiliser au maximum les instruments de l'OMC pour défendre nos intérêts commerciaux et économiques", a-t-il estimé dans un récent entretien à l'agence Ria-Novosti.
"L'OMC est un excellent outil", a jugé à Saint-Pétersbourg le ministre de l'Economie Andreï Belooussov.
"Les investisseurs vont comprendre que nous respectons les règles du jeu", a-t-il ajouté.
Il a cependant regretté un système du "premier arrivé, premier servi" où les membres les plus anciens se permettent plus de libertés avec les règles.
Les soupçons sont par ailleurs nombreux concernant la capacité de la Russie, régulièrement accusée de protectionnisme, à respecter les règles.
Les États-Unis ont récemment fait part de leur inquiétude concernant certaines règles russes dans l'automobile, la vente de boissons, la propriété intellectuelle ou l'alimentation.