Face à la récession, le gouvernement russe peut-il se contenter de colmater les brèches? Des voix s'élèvent dans les milieux économiques pour s'inquiéter d'une politique sans cohérence et réclamer une véritable stratégie de crise.
La semaine écoulée a donné à l'occasion au gratin économique du pays, réuni pour le forum économique Gaïdar, à Moscou, de faire le bilan d'une fin d'année cauchemardesque qui aura vu la baisse du rouble déboucher sur une dramatique crise monétaire.
"J'ai lu tous les documents du gouvernement et je n'y ai pas vu l'objectif de la politique économique", a lancé Guerman Gref, patron de la première banque russe, le géant public Sberbank, et ancien ministre de l'Economie.
Alarmiste, ce membre influent du clan libéral du pouvoir a appelé à un changement "radical" de politique afin de restaurer la confiance du monde des affaires.
Le scénario des mois à venir ne fait pas débat. Chute des cours du pétrole --et donc des revenus de l'Etat-- et sanctions occidentales liées à la crise ukrainienne vont provoquer une chute du produit intérieur brut qui pourrait selon le gouvernement atteindre 5%. Le rythme annuel d'inflation devrait atteindre au printemps 15% à 17%.
Face à la tempête, le chef du gouvernement Dmitri Medvedev a promis d'aider retraités et familles nombreuses. Il a longuement insisté: la Russie ne compte pas revenir en arrière sur la mondialisation et la transformation de l'économie vers "un modèle occidental".
Comme Vladimir Poutine lors de sa conférence de presse en décembre, il n'a en revanche annoncé ni mesure concrète ni réforme, laissant à ses ministres le soin de débattre sur l'utilisation des réserves accumulées ces dernières années pour répondre à la crise ou la nécessité de se serrer la ceinture.
"Il s'est produit ce que je craignais: toute la discussion a porté sur combien il fallait dépenser et pour quelle période. C'est le pire modèle de politique économique", a réagi M. Gref, cité par le journal Kommersant.
- Mesures contradictoires? -
Le gouvernement s'est pourtant activé depuis un mois. Il a mis sur pied un plan de renflouement des banques, soutenu des compagnies aériennes, débloqué des fonds pour des projets d'infrastructure...
Vendredi encore, M. Medvedev a annoncé une série de "réunions de crise" consacrées aux différents secteurs de l'économie.
Mais le quotidien des affaires de référence, Vedomosti, a dénoncé cette semaine des "mesures contradictoires", entre soutien public à certains secteurs et promesse de réduction des dépenses. "En temps de crise, mieux vaut ne rien faire que d'aller dans tous les sens", a poursuivi le journal.
"On a l'impression que le pouvoir n'a pas de stratégie anticrise", abonde Nikolaï Petrov, professeur à la Haute Ecole d'Economie de Moscou.
Pour cet expert, le problème vient de la composition même du gouvernement, "formé sur le principe du statu quo, qui représente les différents clans", celui des libéraux et celui des conservateurs partisans d'une gestion dirigiste entre lesquels Vladimir Poutine louvoie depuis son arrivée au pouvoir il y a 15 ans.
Face aux marge de manoeuvre limitées du gouvernement, la pression exercée sur la banque centrale devient considérable. L'institution, critiquée pour avoir tardé à réagir à l'effondrement de plus en plus dramatique du rouble, a fini par décider mi-décembre une hausse de taux radicale.
Résultat: le coût de l'emprunt devient intenable, ce qui aggrave les difficultés économiques.
Si officiellement Vladimir Poutine soutient la Banque de Russie, cette dernière vient de rappeler l'un de ses vétérans, Dmitri Touline, pour gérer la politique monétaire au poste de vice-président, à la place de Ksénia Ioudaeva.
Selon le site d'information RBK, le retour de cet économiste respecté, qui a fait carrière à la banque centrale, y compris à la période soviétique, avant de passer dans le privé, a été décidé directement par le Kremlin.
Cette nomination "n'est pas un hasard", a reconnu le conseiller économique du Kremlin, Andreï Belooussov, disant s'attendre à des "changements" de politique monétaire alors qu'avec les taux actuels il est "quasi impossible de faire des affaires".
L'expérience de M. Touline, rompu à la gestion de crise, a été saluée unanimement par les économistes.
"Mais une seule personne, même remarquable, ne peut pas changer le travail de l'institution, surtout que le problème ne se situe pas seulement à la banque centrale" mais aussi au gouvernement, relève le professeur Nikolaï Petrov.