par Margarita Antidze et Hasmik Mkrtchyan
EREVAN (Reuters) - L'Arménie a commémoré vendredi le 100e anniversaire des massacres de 1915 où des centaines de milliers d'Arméniens ont été tués par les Turcs de l'Empire ottoman.
"La reconnaissance du génocide n'est pas l'hommage rendu par le monde au peuple arménien et à nos martyrs, la reconnaissance du génocide est un triomphe de la conscience humaine et de la justice sur l'intolérance et la haine", a déclaré dans son discours le président arménien, Serge Sarkissian.
Cent ans après les massacres qui ont fait jusqu'à 1,5 million de morts dans la communauté arménienne, la qualification des événements reste l'objet d'un affrontement entre la Turquie, qui refuse de parler de génocide, et les pays, Arménie en tête, pour lesquels les massacres qui se sont déroulés de 1915 à 1918 constituent le premier génocide du XXe siècle.
La Turquie admet qu'un grand nombre de chrétiens arméniens sont morts dans des affrontements qui ont éclaté en avril 1915 mais conteste qu'il y ait eu des centaines de milliers de morts.
Recep Tayyip Erdogan a reconnu vendredi "partager la douleur" des Arméniens mais la veille encore, le président turc réfutait la qualification de génocide.
Mercredi, Serge Sarkissian a tendu la main à Ankara en se disant prêt à relancer sans condition la réconciliation avec la Turquie, deux mois après avoir suspendu l'examen au Parlement d'un accord conclu entre les deux voisins.
Plusieurs dizaines de délégations ont assisté à la cérémonie organisée à Erevan, au mémorial du génocide dressé sur une colline, en présence de François Hollande, de Vladimir Poutine et de leurs homologues chypriote et serbe.
"COMMÉMORER UN GÉNOCIDE N'EST PAS ROUVRIR UN PROCÈS"
Le président français a souhaité dans un discours chaleureusement applaudi que cette commémoration ouvre la voie à l'apaisement et la réconciliation.
"Commémorer un génocide n'est pas rouvrir un procès", a-t-il dit. "C'est reconnaître une tragédie qui, par son ampleur, a frappé l'humanité tout entière (...) Le centenaire du génocide arménien c'est un appel à la paix et à la réconciliation."
"Il y a en Turquie des mots importants qui ont déjà été prononcés mais d'autres sont encore attendus pour que le partage du chagrin puisse devenir le partage d'un destin", a ajouté François Hollande, qui a souhaité la réouverture prochaine de la frontière entre la Turquie et l'Arménie.
Il a élargi son propos aux chrétiens du Moyen-Orient, aujourd'hui victimes de massacres perpétrés par les extrémistes de l'Etat islamique, et appelé à la défense de ces minorités.
A la tribune, Vladimir Poutine a lancé une mise en garde contre l'actuelle montée du nationalisme et du néofascisme dans le monde, une terminologie utilisée par le Kremlin pour caractériser une partie du pouvoir en Ukraine.
"Mais en nous souvenant des événements tragiques des années passées, nous devons rester optimistes pour notre avenir et croire dans les idéaux de l'amitié et (...) du soutien mutuel", a-t-il ajouté.
Si le Parlement européen, la France et d'autres pays, dont le Vatican, partagent la position de l'Arménie sur le génocide arménien, d'autres, comme les Etats-Unis, se gardent d'utiliser ce terme qui hérisse les autorités turques.
LE BUNDESTAG RECONNAÎT À SON TOUR UN GÉNOCIDE
Après les déclarations du pape François, devenu le 12 avril le premier chef de l'Eglise catholique à employer publiquement le terme de "génocide", suivies du vote au Parlement européen d'une résolution qualifiant également de génocide le massacre des Arméniens, le président turc avait déclaré qu'il était "hors de question" de "salir" la Turquie.
Jeudi, le président allemand, Joachim Gauck, a utilisé à son tour le mot "génocide", longtemps rejeté par le gouvernement allemand. Il a également évoqué une "co-responsabilité", voire une "complicité" de l'Allemagne dans ces massacres.
Vendredi, ce sont les députés allemands qui ont approuvé à une très forte majorité une résolution qualifiant les massacres de 1915-1918 de génocide.
Tous les groupes parlementaires représentés au Bundestag, la chambre basse du Parlement, ont soutenu le texte.
"Ce qui s'est produit pendant la Première Guerre mondiale dans l'empire ottoman sous les yeux du monde était un génocide", a déclaré le président du Bundestag, Norbert Lammert, à l'ouverture des débats.
(Henri-Pierre André et Jean-Stéphane Brosse pour le service français, avec Emmanuel Jarry à Paris et Hans-Edzard Busemann à Berlin)