L'épopée des frères Lehman, fondateurs de la banque qui a précipité la crise financière de 2008, est racontée au théâtre à la manière d'un feuilleton par un auteur italien dont la pièce est mise en scène pour la première fois à Paris, avant Milan l'été prochain, puis l'Allemagne, l'Espagne et le Japon en 2015.
"Chapitres de la chute" est une fresque de 3H50 qui relate la saga des trois frères Lehman, débarqués de leur Bavière natale aux Etats-Unis en 1844, jusqu'à la faillite de la banque en 2008.
Cela pourrait donner un exposé d'économie rébarbatif ou un pamphlet politique. C'est la saga passionnante d'une grande famille du capitalisme américain, avec ses personnages hauts en couleur incarnés par six acteurs, dont l'un endosse pas moins de 20 rôles.
Lorsque le metteur en scène, Arnaud Meunier, découvre le texte, seule la première partie existe, "Trois frères", qui couvre la période allant de l'arrivée sur le sol américain du premier Lehman à la guerre de Sécession. "Happé" par ce récit écrit "comme un polar", Arnaud Meunier rencontre Stefano Massini, jeune auteur italien né en 1975, et lui commande les deux autres chapitres, avec le théâtre du Rond-Point à Paris où la pièce est donnée à partir du 7 novembre.
Le résultat tient en trois parties, comme un feuilleton "dont on connaît déjà la fin, une sorte de syndrome du Titanic". Un décor de hall de banque évoquant les sièges sociaux de la 5e avenue à New York évolue tout au long de la pièce, enrichi par des vidéos projetées sur les murs ou les baies vitrées.
Stefano Massini, qui a reçu de nombreux prix en Italie et est de plus en plus traduit, écrit des pièces en prise directe avec l'actualité: son texte précédent, "Femme non rééducable" (monté en février prochain au théâtre de la Commune d'Aubervilliers) relate l'histoire de la journaliste russe Anna Politkovstkaïa, assassinée en 2006 à Moscou.
"Ce n'est pas un théâtre documentaire, mais un théâtre très documenté", explique Arnaud Meunier. "C'est un obsessionnel du détail, et c'est très jouissif d'apprendre par exemple dans la pièce que l'indice Dow Jones vient d'un journaliste qui s'appelait Charles Dow qui a été l'un des premiers à faire un journal à Wall Street et à avoir l'idée de réunir les cours des plus grandes entreprises américaines".
"Tout est vrai"
Le public demande souvent à la sortie de la pièce - créée à Saint-Etienne en octobre - si "tout ça est vrai", raconte le metteur en scène. "Oui, tout est vrai, sauf ce qui relève de la poésie comme cet équilibriste sur son fil devant Wall Street dans la deuxième partie".
Plutôt que d'asséner des vérités sur la crise économique, Stefano Massini pose des questions: qu'est-ce que la crise de 1929 a à voir avec notre crise actuelle? Par exemple. Le parallèle "fait froid dans le dos", relève le metteur en scène français: la crise de 29 a été marquée par la montée des populismes en Europe et la naissance du fascisme.
Le contenu est évidemment politique, mais dans le sens où il invite le spectateur à s'interroger. "La grande force de la pièce c'est qu'elle ne juge en aucun cas, elle raconte", constate Arnaud Meunier. "Souvent, pour le commun des mortels l'économie reste quelque chose de complexe, difficile à appréhender. La pièce humanise, elle invite chacun à se réapproprier quelque chose de fondamental qui est l'économie, le rôle de la banque, à se demander en quoi notre action a une influence réelle sur la société", dit-il.
"Il y a, à la fois un effet de fascination par rapport à la success story de trois émigrés juifs partis de rien et qui finissent par monter un empire, et en même temps on a une forme d'effroi, à partir du moment où cette économie très concrète, basée sur le coton, le charbon, va petit à petit se virtualiser, jusqu'à l'arrivée de la finance et des traders, qui va précipiter la chute."