Un possible règlement du conflit kurde en Turquie fait naître l'espoir d'étendre le miracle économique turc jusqu'aux zones kurdes du sud-est anatolien, qui subissent depuis près de 30 ans les effets dévastateurs de la guerre.
Il y a près d'un an, le ministre turc du Travail Faruk Celik avait estimé à environ 400 milliards de dollars (plus de 300 milliards d'euros) le manque à gagner de son pays lié aux combats opposant depuis 1984 l'armée et les rebelles du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).
Le constat est accablant: Les 12 provinces du sud et du sud-est du pays, peuplées majoritairement de Kurdes, sont les plus pauvres du pays. En revanche l'Ouest, industrialisé et développé, prospère.
Le fossé économique est tel que le revenu par habitant à Istanbul, environ 16.000 dollars, dépasse celui de certains pays de l'union européenne (UE) à laquelle la Turquie souhaite adhérer, tels que la Roumanie et la Bulgarie, alors que celui des zones kurdes descend jusque vers 3.800 dollars, au niveau de pays comme l'Inde ou le Vietnam.
L'appel lancé jeudi par le chef emprisonné du PKK à déposer les armes constitue ainsi une source d'espoir pour la minorité kurde.
"Une solution au conflit kurde peut faire baisser le taux de chômage dans le Sud-Est, qui se chiffre à 30%, aux alentours des 10%", l'actuelle moyenne nationale, a estimé Sahismail Bedirhanoglu, le président de l'Association des industriels et hommes d'affaires du sud-est anatolien.
Pour Ilker Ayci, président de l'Agence de soutien et de promotion des investissements, l'agroalimentaire et le bâtiment pourraient être les moteurs de l'économie régionale.
"Il faut d'abord que les investisseurs nationaux arrivent. En les voyant s'implanter, les investisseurs internationaux vont venir aussi. L'agroalimentaire et la construction vont être au premier plan pour les investissements", a déclaré M. Ayci samedi dans le quotidien Sabah.
"Les mines et l'énergie solaire vont fournir de nouvelles opportunités", souligne également M. Ayci, convaincu que "le soleil des investissements va se lever à l'Est".
Etat et secteur privé auront du pain sur la planche pour réduire la fracture socio-économique isolant du reste du pays la région kurde, que l'éloignement des grandes voies de communication avait déjà mise à la traine bien avant le début de l'insurrection du PKK.
Et la guerre n'a fait qu'empirer les choses.
En 30 ans de combats, "l'Etat a réduit ses investissements et le secteur privé avait complètement délaissé notre région. On ne peut s'attendre à ce qu'une zone, théâtre de combats, puisse attirer des investissements," indique M. Bedirhanoglu.
Environ un million de personnes, selon des sources kurdes, ont migré vers les métropoles de l'Ouest, pour y vivre souvent dans la misère.
L'armée turque a procédé à l'évacuation forcée de milliers de villages kurdes pour couper tout approvisionnement aux rebelles. Même si l'Etat turc offre une aide au retour, des centaines de milliers de personnes hésitent à regagner leur terre d'origine.
A Diyarbakir, la grande ville du Sud-Est, où a été lancé l'appel "historique" du dirigeant du mouvement kurde armé, le taux de chômage atteint jusqu'à 60% dans certains quartiers.
L'enjeu pour la Turquie est maintenant de faire profiter les Kurdes de la bonne santé économique du reste du pays.
Après avoir atteint des records de croissance à plus de 8% en 2010 et 2011, l'économie turque devrait connaître en 2012 une progression de 3,2% en dépit d'un contexte mondial déprimé, et une prévision de croissance de 4,1% a été annoncée pour 2013.
Au total, elle devrait afficher la plus forte croissance des pays membres de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur la période 2011-2017.
La Turquie pourrait aussi, selon certaines estimations, passer du 17e au 9e rang des économies mondiales et au troisième rang européen.
"Les habitants de cette zone (kurde) ont été exclus en général des bénéfices du miracle turc. Une paix pourrait leur faire profiter du développement en cours", estime dans le journal Hürriyet Ali Yücelen, le chef de l'association d'hommes d'affaires TÜGIAD.
Le commerce frontalier avec l'Irak, et surtout avec la région autonome kurde du nord de ce pays, riche en pétrole et en plein boom économique, sera aussi profitable pour les zones kurdes de Turquie, fait remarquer M. Yücelen.
La fin de des combats pourrait également, à terme, faire baisser les dépenses militaires de la Turquie, qui se chiffreront à 8,5 milliards d'euros en 2013.