La zone euro a replongé dans la cacophonie avec la décision d'instaurer une taxe inédite sur les dépôts bancaires à Chypre, plusieurs responsables se renvoyant la responsabilité de cette mesure qui a suscité un tollé et inquiète les marchés.
En contrepartie d'une aide internationale de 10 milliards d'euros, Nicosie s'est engagé samedi, au terme de longues négociations, à instaurer une taxe exceptionnelle sur les dépôts bancaires, même les plus petits, qui rapportera 5,8 milliards d'euros. Une décision qui faisait alors consensus.
Deux jours après avoir ficelé l'accord, Nicosie dénonçait un "chantage" de ses bailleurs de fonds. "Le président (Nicos Anastasiades) s'est démené pour ne pas arriver à une telle issue qui a été imposée par ceux qui tentent de justifier leur décision", s'est défendu le gouvernement chypriote.
"Ce que nos bailleurs de fonds cherchaient à faire était de fermer les deux principales banques du pays, transférer les dépôts en-dessous de 100.000 euros dans une banque saine et tirer un trait sur tous les autres dépôts. Cela se serait traduit par une perte de valeur de 40% sur les dépôts, selon le FMI, et les comptes auraient été bloqués pendant 5 à 10 ans", a dénoncé lundi dans un communiqué le porte-parole du gouvernement chypriote.
C'est pour éviter ce scénario catastrophe que les autorités chypriotes auraient accepté le principe d'une taxe sur tous les dépôts. Un tableau simpliste que réfutent certains observateurs.
Chypre aurait une lourde responsabilité, selon un diplomate, pour qui le président Anastasiades a refusé de taxer les dépôts au-dessus de 100.000 euros "avec un taux à deux chiffres", afin de protéger l?attractivité de sa place financière. D'où le seuil de 9,9% retenu pour les gros dépôts.
En contrepartie, il a accepté, selon le diplomate, d'imposer un taux important aux épargnants moins fortunés pour que la taxe rapporte 5,8 milliards d'euros comme prévu. Ce que Nicosie dément fermement.
"Avec le FMI, les Allemands ont voulu taxer les déposants à Chypre jusqu'à 40%", selon une source diplomatique européenne sous couvert d'anonymat. "Il y a eu des mises en garde mais ils n'ont pas voulu écouter. Le comble maintenant est qu'ils n'assument pas", s'emporte-t-elle.
En venant au secours de Chypre, Berlin, comme certains de ses partenaires, craignait de soutenir financièrement un pays longtemps perçu comme un paradis fiscal et soupçonné de manquer de vigilance sur la provenance des fonds placés dans ses banques, en particulier depuis la Russie.
"C'était politiquement inacceptable. Les contribuables de tous les pays de la zone euro auraient soutenu un plan de sauvetage qui aurait profité aux seuls intérêts des Britanniques (de nombreux Britanniques prennent leur retraite à Chypre, ndlr) et des oligarques russes", souligne une source européenne.
Selon des estimations citées dimanche à Moscou, les avoirs russes dans l'île s'élèvent à au moins 20 milliards de dollars.
"L'idée était aussi d'éviter de faire payer les autres Européens pour un secteur bancaire qui offrait 5,5% d?intérêts par an" pour des dépôts même relativement peu élevés, ajoute-t-elle.
Malgré ces craintes, le gouvernement allemand, tout comme le FMI, a proposé une solution qui protège les petits épargnants, a assuré le ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, mettant en cause à la fois le gouvernement chypriote, la Commission européenne et la Banque centrale pour avoir mis en place une taxe qui touche tous les déposants, sans exception.
Ce sont "eux qui ont choisi cette solution et ils doivent maintenant s'en expliquer auprès du peuple chypriote", a-t-il affirmé à la télévision allemande.
Protéger les petits dépôts est "la position que j'ai défendue vendredi face à des positions beaucoup plus dures", a renchéri le ministre français Pierre Moscovici.
Selon des sources concordantes, la Commission européenne a travaillé sur l'hypothèse d'une taxe pour tous les déposants mais a proposé des taux moins pénalisants, autour de 3%, pour les moins fortunés.