Salaires payés partiellement, en nature, ou avec des mois de retard, le paysage sinistré de l'emploi en Grèce ne se résume pas au taux de chômage record de la population, à plus de 27%."Tous les matins, je laisse mes enfants, je prends ma voiture, je mets de l'essence et je viens travailler". La crise n'a rien changé au rituel de Chrissoula Zarkamela, caissière à Katerini (nord du pays), sauf sur un point: elle n'a pas touché ses 894 euros mensuels depuis le mois d'août, comme ses dix collègues du supermarché Arvanitidis.L'ensemble des salariés de cette chaîne, qui compte environ 150 magasins dans le pays, vivent au gré des versements aléatoires de salaire, explique-t-elle."Les problèmes sérieux ont commencé il y a un an. Au début nous étions payés un mois en retard, on ne disait trop rien. Puis les impayés se sont accumulés", raconte Mme Zarkamela.En mai, l'employeur, qui devait trois mois de salaire, leur fait une proposition étonnante: la moitié de leur dû versé en coupons de 20 euros à dépenser dans le magasin.Plusieurs salariés ont refusé: "ils croient que je vais payer mes impôts en farine et sucre!", peste la caissière quadragénaire.Seule du magasin à pouvoir compter sur un deuxième salaire, celui de son mari, elle se demande pourtant si elle va pouvoir "racheter du fuel pour le chauffage"."Plus d'un million de salariés impayés" en Grèce, titrait début décembre le quotidien libéral Kathimerini, citant une estimation "empirique" de l'Institut de recherche du principal syndicat du privé GSEE. Un nombre à rapprocher des 1,37 million de chômeurs du pays.Paye à trois mois"Les retards d'un ou deux mois sont si fréquents que même l'inspecteur du travail le plus bienveillant juge inutile de s'y attaquer", affirme l'avocate Margetina Stefanatou, spécialisée en droit du travail."Une entreprise sur deux ne paie pas ses salariés dans les temps", décrit Yannis Kouzis, enseignant à l'université Panteion d'Athènes et chercheur à l'institut de la GSEE. Les secteurs les "plus problématiques" sont, selon lui, la sécurité, le nettoyage, la restauration et l'hôtellerie.Mais dans un pays comptant 98,5% d'entreprises de moins de 50 salariés, "les plus vulnérables" en temps de crise, cette estimation donne une image "biaisée", nuance la fédération grecque du patronat SEV, interrogée par l'AFP. Avec l'assèchement du crédit bancaire, ces petites entreprises ne peuvent plus faire face aux écarts de trésorerie, observe l'avocate Stenafatou sans nier les cas de "mauvaise gestion".A l'hôpital Henri Dunant d'Athènes, établissement dernier cri ouvert en 2000 sous l'égide de la Croix Rouge Hellénique, l'ancienne équipe de direction a laissé un trou de millions d'euros.Plus de 1.000 employés n'y sont pas payés depuis neuf mois, raconte Anastasia Koutsouris, 45 ans, médecin généraliste privée de ses 1.650 euros mensuels. "Partir? mais pour trouver du travail où?", demande-t-elle.La crainte du chômage retient aussi N., 52 ans, serveur dans un hôtel du centre d'Athènes où il reçoit "200 euros par-ci, par-là" depuis "quinze mois", explique-t-il à l'AFP.Un autre salarié athénien, employé de la même entreprise automobile depuis 22 ans, affirme sous couvert d'anonymat être payé 100 à 150 euros par mois depuis deux ans et demi, "l'argument étant que l'entreprise va mal".Rares sont les salariés à se mobiliser comme l'ont fait cet automne les ouvriers des chantiers navals de Skaramangas, près d'Athènes, manifestant régulièrement pour réclamer 18 mois d'impayés. Impayés également, les marins du "Pénélope" reliant la côte athénienne aux Cyclades, ont cessé le travail depuis cet été."La crise est arrivée dans un marché du travail grec qui était déjà une jungle caractérisée par de nombreux abus", affirme Eli Varkalama, juriste à la GSEE.Parmi les autres hardiesses salariales débusquées par le syndicat, des contrats d'embauche prévoyant le versement de la paye à trois mois. Ou pire: un hôtelier de l'île d'Egine a proposé un emploi de femme de chambre "volontaire". Rémunération? la pension complète.