Sous le soleil brûlant des Tuamotu, des centaines de noix de coco explosent sous la hache de Christian Williams et de ses deux fils. Le son mat des outils rythme l'activité du principal village d'Anaa, un atoll polynésien de 800 habitants.
Les Williams ont fini de fendre leurs noix. Il faut maintenant en ôter la chair blanche. Armés d'une lame courbe, les trois hommes s'assoient sur un petit tabouret, enfin à l'ombre. En moins de cinq secondes, la chair est séparée de la coque, en deux ou trois raclements. Une heure plus tard, trois tas de cocos de plus d'un mètre de haut jonchent le jardin des Williams.
La chair, elle, est répartie sur un séchoir en plein soleil. Elle sera ensuite expédiée par bateau à l'huilerie de Tahiti, pour y être pressée puis revendue aux producteurs de monoï.
Cette coprahculture est le seul moyen de maintenir la population dans les atolls, qui ne produisent presque rien d'autre. La perle noire se vend moins bien, et beaucoup de fermes perlières ont fermé. La pêche permet de nourrir les habitants mais se vend peu, faute d'un véritable circuit industriel vers Tahiti.
En dehors des employés de la mairie, des trois petites épiceries et de la compagnie Air Tahiti, tous les hommes de l'atoll "font le coprah". Et pourtant, ça rapporte peu: "avec mes fils, on gagne en moyenne 100.000 francs par mois, mais pas chacun! Pour trois!", se désole Christian Williams. C'est à dire 838 euros dans un atoll où tout est plus cher qu'en France, sauf le poisson. Et encore, Christian Williams est propriétaire de son terrain.
Sur la plage, deux jeunes partent "au secteur" pour 15 jours. Le secteur, c'est un motu (îlot, en tahitien), le plus souvent inhabité, sans eau et sans électricité. Ils partent avec un pupuhi (fusil-harpon), deux coupe-coupe, un petit jerricane d'eau douce, une casquette chacun et quelques dizaines de sacs vides, pour récolter plusieurs tonnes de coprah.
- Cosmétiques de luxe -
Le motu ne leur appartient pas: il leur faudra verser la moitié de leurs gains au propriétaire et payer la location du bateau. Dans deux semaines, après s'être nourris de leur pêche, de la chasse au kaveu (crabes de cocotiers) et de l'eau des noix de coco, ils espèrent avoir gagné chacun "entre dix et vingt mille francs" (entre 84 et 168 euros) pour ce travail harassant. Ils passeront un week-end au village avant, sans doute, de repartir.
On retrouvera pourtant l'huile extraite de leur coprah, mélangée à la mythique fleur de Tiare, dans des produits cosmétiques prestigieux: Dior, Yves Rocher ou Garnier utilisent le monoï de Tahiti dans leurs crèmes solaires, mais aussi dans leurs shampoings ou produits de beauté. Le monoï est à la mode: on en trouve même dans le maquillage, les déodorants, les bougies et… les jeans !
Dix mille tonnes de coprah sont livrées chaque année à l'huilerie de Tahiti, pour produire six mille tonnes d'huile de coco. L'usine ne raffine que 350 tonnes pour les producteurs de monoï. Le reste, une huile moins pure, servira à faire des gâteaux ou de la margarine.
La coprahculture n'est pas rentable, mais elle est le seul moyen de maintenir la population dans les atolls. Le gouvernement local propose donc des aides, et garantit l'achat du coprah. Malgré cela, les Tuamotu se vident: Anaa, par exemple, est passée de 6.000 à 800 habitants en un siècle.
Tous connaissent Tahiti, pour y avoir poursuivi leurs études, car il n'y a qu'une école primaire à Anaa. Beaucoup restent à Papeete, malgré le chômage, les problèmes de logements et les embouteillages. D'autres préfèrent revenir à une vie simple: "on a tout ce qu'il faut ici, et pas besoin de payer pour tout ce qu'on fait comme à Papeete: je préfère de loin vivre aux Tuamotu", sourit Rupena Maitai, un jeune originaire de l'atoll, en partant d'un pas tranquille à la pêche aux coquillages sur le récif.