par Mathieu Rosemain
PARIS (Reuters) - Quand Vincent Bolloré a changé son fusil d'épaule dans le rachat de la télévision payante de Mediaset et proposé de prendre une part significative de la maison mère elle-même, le marché a immédiatement pensé qu'il préparait un nouveau raid boursier.
La famille de Silvio Berlusconi aussi a soupçonné le président du conseil de surveillance de Vivendi (PA:VIV) de chercher à les priver du contrôle du groupe italien de médias.
"Sa réputation le précède et, effectivement, il leur a fait peur", confie-t-on de source proche des négociations.
Car le différend entre Vivendi et Mediaset rappelle à bien des égards la manière dont l'industriel français de 64 ans fait des affaires, estiment des observateurs.
Depuis trente-cinq ans, ses investissements perspicaces et ses prises de contrôle méthodiques l'ont fait passer de la petite papeterie familiale OCB à la présidence d'un conglomérat de 10,8 milliards d'euros de chiffre d'affaires dont les activités vont du transport et la logistique aux solutions de stockage d'électricité, aux communications et aux médias.
La carrière de Vincent Bolloré est semée d'exemples de prises de participations minoritaires par lesquelles il est parvenu à contrôler des entreprises.
Le cas de Vivendi lui-même en est une illustration.
En 2014, il accède à la présidence du conseil de surveillance de Vivendi avec juste un peu plus de 5% du capital (15,3% actuellement). Depuis, il dirige le groupe comme s'il était à lui.
"Dès qu'il achète des parts d'une entreprise, il a tendance à penser qu'elle est mal gérée", commente un banquier français qui suit les investissements de Vincent Bolloré en Italie.
"TOUT CHANGER"
Au cours des deux années écoulées, Vincent Bolloré a profondément remanié le management de Vivendi et de sa filiale Canal+ et a pris des décisions stratégiques comme l'acquisition de 24,7% du capital de Telecom Italia (MI:TLIT).
Il a livré bataille pour nommer quatre administrateurs de Vivendi au conseil du premier opérateur télécoms italien et a obtenu en mars la démission de son administrateur délégué Marco Patuano. "Il était absolument convaincu que Telecom Italia était un canard boiteux et qu'il fallait tout y changer", se souvient le banquier français.
Aussi, quand Vivendi rejette les termes initiaux d'un accord avec Mediaset sur le rachat de 100% de la filiale de télévision payante Mediaset Premium et propose à la place d'en acquérir seulement 20% et de prendre environ 15% de sa maison mère, les Berlusconi s'alarment.
"Ils se sont inquiétés de ce que ces 15% fassent perdre à Fininvest (la holding des Berlusconi-NDLR) sa minorité de blocage dans Mediaset après une augmentation de capital", dit-on encore de source proche des négociations.
Vivendi s'est refusé à commenter cet article. Le président de son directoire, Arnaud de Puyfontaine, a déclaré le 30 juillet au Corriere della Sera que le groupe n'avait pas l'intention de prendre le contrôle de Mediaset.
Vincent Bolloré ne s'est pas exprimé publiquement sur Mediaset, et n'a pu être joint pour un commentaire.
Le groupe italien, qui a rejeté à plusieurs reprises l'offre alternative de Vivendi, n'a pas répondu aux sollicitations de Reuters. Fininvest, qui détient environ 35% de Mediaset, n'a pas fourni de nouvelle déclaration mais avait clairement dit précédemment qu'il s'opposait aux nouveaux termes proposés par Vivendi.
UNIQUEMENT DU BUSINESS
Pour Vincent Bolloré, ami de longue date de Silvio Berlusconi, ce n'est jamais personnel, c'est uniquement du business.
Quand son groupe familial acquiert en 1997 près de 9% de Bouygues (PA:BOUY), il téléphone à Martin Bouygues, ancien camarade de classe, pour l'assurer d'une démarche amicale. Un an plus tard, grimpé non loin des 13% du capital, il critique la diversification du groupe de BTP dans les télécoms.
"Bolloré m'a pris pour un con", résumait Martin Bouygues en 2013 au magazine Challenges. "Il m’a roulé, trompé, humilié. Je n’oublierai jamais."
Dans un rare retournement, Vincent Bolloré a reculé et vendu en 1998 toutes ses actions Bouygues à la suite de la réaction de partisans de Martin Bouygues au sein et hors de l'entreprise. Il a fait valoir qu'il n'avait d'autre choix que d'émettre des doutes sur une stratégie qui menaçait à ses yeux les finances du groupe Bouygues.
Vingt ans et d'autres raids plus tard, dont celui sur Havas (PA:HAVA), l'appétit de Vincent Bolloré semble intact. Comme en témoigne le rachat par Vivendi de la société de jeux vidéo Gameloft (PA:GLFT), en juin, et l'acquisition de 22% du capital de sa jumelle Ubisoft (PA:UBIP) malgré l'opposition de leurs fondateurs, la famille Guillemot.
Car l'idée fixe de Bolloré, c'est de faire de Vivendi un "champion des médias" de dimension internationale capable de rivaliser avec les puissants nouveaux venus que sont Netflix et Amazon (NASDAQ:AMZN), en développant les contenus.
Un projet qui passe par l'Italie et le rapprochement avec Mediaset, dont les filiales qui produisent des contenus audiovisuels pourraient joindre leurs forces à celles de Canal+.
L'analyste Jérôme Bodin, chez Natixis, soulignait dans un rapport publié au printemps que cette approche de groupe de médias intégré avait du sens pour Vivendi et pourrait générer d'importantes économies de coûts via un renforcement des liens avec Telecom Italia et, en Espagne, avec Telefonica (MC:TEF), afin d'optimiser la distribution de ces contenus.
Les audiences pourraient encore être élargies en y incluant les pays francophones d'Afrique de l'Ouest, où le groupe Bolloré, contrôlé majoritairement par la famille, a investi dans les infrastructures et cultive de bonnes relations avec les autorités locales.
(édité par Dominique Rodriguez et Matthieu Protard)