PARIS (Reuters) - Une attaque meurtrière contre des policiers revendiquée par l'Etat islamique et qualifiée de "terroriste" par François Hollande est venue percuter jeudi soir la campagne pour l'élection présidentielle à trois jours du premier tour.
Les candidats à l'élection présidentielle avaient commencé à marteler sans surprise leurs positions sur France 2 et France Inter, lors de la dernière émission télévisée qui avait pris la forme d'interviews successives sans débat, quand la nouvelle de la fusillade a fait irruption sur le plateau.
Un assaillant a attaqué un fourgon de police sur les Champs-Elysées, tuant un policier et en blessant deux autres avant d'être abattu par des policiers.
"Nous sommes convaincus que les pistes qui peuvent conduire à l'enquête et qui devront révéler toute la vérité sont d'ordre terroriste", a dit François Hollande dans la cour de l'Elysée.
Quelques instants plus tard, l'Etat islamique revendiquait l'attentat via son canal habituel, l'agence Amaq.
François Fillon a immédiatement estimé sur France 2 que la campagne pour le premier tour devait être suspendue, par "solidarité" avec les policiers victimes de l'attaque.
"Je considère que dans le contexte que nous vivons il n'y a pas lieu de poursuivre la campagne électorale", a déclaré le principal candidat de la droite.
Le candidat de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, a exprimé son désaccord avec François Fillon.
"Dans l'attente d'informations plus sûres, il me paraît nécessaire de répondre d'abord à notre devoir de citoyen: pas de panique, ne pas interrompre le processus de notre démocratie, de manière à bien montrer que les violents n'auront pas le dernier mot contre les républicains", a-t-il dit.
UN PREMIER TOUR IMPRÉVISIBLE
Le scénario du premier tour, qui reste toujours aussi imprévisible à trois jours du scrutin dans les sondages, pourrait être perturbé par cet événement.
Les intentions de vote paraissent se stabiliser mais confortent l'hypothèse inédite d'une lutte serrée entre Marine Le Pen, Emmanuel Macron, François Fillon et Jean-Luc Mélenchon. et
Autre fait sans précédent : 30% des électeurs seraient tentés par l'abstention. Le "record" pour un premier tour s'établit pour l'heure à 28%, à la présidentielle de 2002.
Selon un sondage Harris Interactive diffusé jeudi, le candidat pour lequel les personnes interrogées se disent le plus sûres de leur choix est François Fillon (85%) devant Marine Le Pen (84%), Emmanuel Macron (79%) et Jean-Luc Mélenchon (73%).
Avant la clôture de la campagne vendredi soir à minuit, les onze candidats se prêteront jeudi soir, sur France 2, à un dernier tour de chauffe télévisé, en direct, mais séparément.
"Je pense qu’il y a beaucoup d’émotion et de désordre dans cette campagne, mais au moment de mettre le bulletin dans l’urne, les Français reviendront à des choix plus raisonnables", a déclaré sur RTL François Fillon, convaincu d'être qualifié.
Avant ce qui se veut une démonstration de force vendredi à Chamonix pour une randonnée sur le Mont-Blanc entouré de son équipe, le député de Paris a clos d'une photo avec Nicolas Sarkozy une semaine de mise en scène de l'unité de la droite et du centre, sérieusement mise à mal par ses ennuis judiciaires.
"S'ILS VOTENT LE PEN, ILS AURONT MACRON"
L'ancien chef de l'Etat s'est adressé aux électeurs déçus ou en colère tentés par Emmanuel Macron au centre-droit, Marine Le Pen ou Nicolas Dupont-Aignan à l'aile droite, pour qu'ils accordent leur vote à son ancien Premier ministre.
"S'ils votent Le Pen, ils auront Macron! Toute voix de la droite républicaine qui se porte sur le FN ou sur Nicolas Dupont-Aignan augmente le risque d'une élection de M. Macron", met en garde François Fillon dans Le Figaro.
Confrontée à une légère érosion des intentions de vote en sa faveur, Marine Le Pen a durci son discours à l'approche d'un premier tour, renouant avec les fondamentaux du FN, sur l'immigration et la sécurité notamment.
"Je considère que le peuple français est propriétaire de son pays. Un étranger est sur le territoire parce qu’on l’y autorise", a-t-elle dit sur Europe 1.
Pour Emmanuel Macron, qui s'exprime dans 20 Minutes et s'est entretenu jeudi par téléphone avec l'ancien président américain Barack Obama, "aujourd’hui, la vraie tension est entre la volonté de rétrécissement du pays, représentée par Mme Le Pen, et l’ouverture au monde et à l’Europe, que je représente".
"La campagne fait bouger les lignes et les enquêtes d'opinion le mesurent bien. François Fillon reprend actuellement les électeurs de Sarkozy en 2012 qui s'étaient échappés chez Marine Le Pen", analyse Brice Teinturier dans L'Obs.
LES MARCHÉS SOUS TENSION
"C'est un jeu à la mode que d'essayer de construire des scénarios qui permettent à Marine Le Pen de devenir présidente. (...) Si elle obtient un score de 25% avec 30% d'abstention, elle aura séduit 8 millions d'électeurs. C'est déjà colossal. Pour l'emporter au second tour, il lui faudrait obtenir, suivant l'abstention, 14 à 16 millions de voix", ajoute le directeur d' Ipsos (PA:ISOS).
Les marchés considèrent toutefois que l'hypothèse Le Pen reste le risque numéro un en dépit de l'ascension dans les sondages de Jean-Luc Mélenchon, candidat de la gauche radicale, dont le programme inquiète les investisseurs.
Quelle que soit la configuration de ce premier tour historique dans la Ve République française, la place de Paris et l'ensemble des marchés financiers mondiaux se préparent à un nuit agitée dimanche.
Un collectif d'économistes de 17 pays appellent dans une tribune publiée jeudi dans Libération à voter pour le chef de file de "La France insoumise" pour "une politique économique sérieuse et à la hauteur des enjeux".
Le cofondateur du Parti de Gauche a reçu des soutiens plus inattendus, aux Etats-Unis, tels le réalisateur Oliver Stone ou l'actrice Pamela Anderson, signataires d'une pétition appelant à faire bloc derrière "le candidat progressiste".
"Je me comporte comme quelqu'un qui s'apprête à gouverner ce grand pays", a affirmé Jean-Luc Mélenchon sur BFM TV et RMC.
Le candidat, qui a reçu jeudi le soutien du président bolivien Evo Morales, s'est défendu de toute proximité avec le pouvoir vénézuélien. "Je condamne toutes les violences d'État, que ce soit au Venezuela, à Bahreïn. (...) Je n'ai aucune sympathie pour les dictateurs", a-t-il dit.
(Sophie Louet, avec Service France, édité par Yves Clarisse)