par Elizabeth Pineau
PARIS (Reuters) - "Discours sur l'état de l'Union" à la française, occasion de fixer le cap du quinquennat ou coûteux "coup de com'", le choix d'Emmanuel Macron de s'exprimer devant le Parlement réuni en Congrès, lundi à Versailles, marque une nouvelle rupture.
Présenté par l'Elysée comme un rendez-vous annuel destiné à donner de "grandes orientations" au pays, sans contradiction avec le discours de politique générale plus détaillé prononcé le lendemain à l'Assemblée par le Premier ministre, l'exercice a donné lieu à de fortes critiques de l'opposition.
Dans une interview à L'Opinion, le secrétaire général des Républicains, Bernard Accoyer, dénonce un acte autoritaire au coût élevé - "un demi-million d'euros, au moins".
"J'ai l'impression que le président est en train de rentrer dans une pratique qu'il a lui-même qualifiée de jupitérienne et qui s'éloigne de plus en plus des bonnes règles de nos institutions et, deuxièmement, des réalités", insiste-t-il.
Jusqu'ici réservé à des occasions exceptionnelles, "le Congrès de Versailles n'est pas fait pour être un outil de communication au service du président de la République", a renchéri le député LR Damien Abad, sur LCP. "Le Congrès se réunit à Versailles quand il y a une réforme constitutionnelle. Et griller la politesse comme ça au Premier ministre, c'est la preuve effectivement d'une dérive absolutiste du pouvoir".
"DÉRIVE PHARAONIQUE"
Pour le député PS Olivier Faure, ce discours marque un "retour du pouvoir personnel" d'Emmanuel Macron, là où son collègue de La France insoumise Alexis Corbière voit "une forme d'américanisation de la vie politique, un discours à la Nation" à l'image de ce que fait le président aux Etats-Unis.
Dénonçant la "dérive pharaonique de la monarchie présidentielle", les députés de La France insoumise emmenés par Jean-Luc Mélenchon ont annoncé qu'ils n'iraient pas à Versailles.
Un boycott également décidé par le député UDI Jean-Christophe Lagarde et son collègue Philippe Vigier ainsi que par les députés et sénateurs du groupe communiste.
Les 100 députés Les Républicains devraient être présents, a dit leur chef Christian Jacob.
A la question de savoir si un discours sous les ors de Versailles, palais du roi Louis XIV, ne donne pas une vision monarchique de la présidence, l'entourage d'Emmanuel Macron répond que "le lieu ne définit pas ce que sont les hommes".
"Emmanuel Macron utilise toutes les ressources de la fonction présidentielle qui sont à sa disposition", a commenté jeudi sur Europe 1 le constitutionnaliste Didier Maus.
Avant la réforme instaurée sous Nicolas Sarkozy, "les présidents communiquaient avec les députés et les sénateurs par des messages qui étaient lus dans les deux hémicycles du Palais Bourbon et du Palais du Luxembourg", a-t-il rappelé. "Il n'y avait pas ce contact physique qui aura lieu lundi à Versailles."
Selon l'article 18 de la Constitution, le président "peut prendre la parole devant le Parlement" réuni en Congrès, ce qui était impossible avant 2008. "Sa déclaration peut donner lieu, hors sa présence, à un débat qui ne fait l'objet d'aucun vote".
Nicolas Sarkozy avait choisi ce format pour prononcer, le 22 juin 2009, un discours à caractère économique et social dans un pays frappé par la crise financière.
La dernière convocation du Congrès remonte au lendemain des attentats du 13 novembre 2015 qui avaient fait 130 morts. François Hollande y avait annoncé son souhait d'étendre la déchéance de nationalité aux binationaux "nés Français" en cas de terrorisme, une mesure abandonnée par la suite.
LA PRESSE À DISTANCE
Outre son choix de s'exprimer devant les parlementaires, Emmanuel Macron refuse de se prêter cette année à la tradition de l'interview télévisée du 14-Juillet, jour de Fête nationale, en place depuis Valéry Giscard d'Estaing dans les années 1970.
Autre annonce de son entourage : il n'y aura pas de grandes conférences de presse semestrielles sous ce quinquennat, comme cela se faisait son prédécesseur François Hollande.
Une décision en cohérence avec le choix présidentiel de garder une certaine distance avec la presse, lui préférant des retransmissions sur Facebook (NASDAQ:FB) ou des interventions ciblées.
Depuis son entrée en fonctions, Emmanuel Macron a donné une seule interview à des journaux européens, à qui consigne avait été donnée de ne pas aborder des sujets de politique intérieure.
"Il ne refuse pas la contradiction", assure pourtant l'Elysée.
En déplacement, le président écarte tout sujet extérieur à celui choisi par ses soins.
"Vous connaissez la règle, je ne fais pas de commentaire" lorsque ce n'est pas le sujet de la visite, disait-il le 19 juin au Salon aéronautique du Bourget, en réponse à une question sur le second tour des élections législatives de la veille.
Emmanuel Macron a dévoilé jeudi son portrait officiel, qui le montre appuyé sur un bureau entre les drapeaux français et européen, devant une fenêtre ouverte sur les jardins de l'Elysée.
(Avec Simon Carraud, Michel Rose et Jean-Baptiste Vey, édité par Yves Clarisse)