par Steve Holland et Roberta Rampton
WASHINGTON (Reuters) - Barack Obama a levé par décret la menace d'expulsion qui pèse sur 4,7 millions d'étrangers en situation irrégulière, malgré le tollé que cette mesure a suscité dans les rangs républicains avant même que les détails en soient connus.
Lors d'un discours prononcé à la Maison blanche, le président américain a rejeté les accusations des républicains disant que cette manière de passer outre le Congrès équivaut à une amnistie pour les immigrants irréguliers.
Barack Obama a exhorté les républicains, qui contrôleront à partir de janvier les deux chambres du Congrès, à voter la réforme de l'immigration bloquée depuis l'an dernier par la Chambre des représentants.
"Aujourd'hui, notre système d'immigration est cassé, tout le monde le sait. Cela fait des décennies que cela dure et, depuis tout ce temps, nous n'avons guère fait grand-chose pour remédier à la situation", a dit le président américain.
La réaction des républicains ne s'est pas faite attendre, ces derniers disant que Barack Obama avait passé outre ses pouvoirs constitutionnels un an après avoir dit qu'il ne détenait pas l'autorité pour agir seul.
Dans une vidéo diffusée avant le discours télévisé du président américain, John Boehner, chef de file des républicains à la Chambre des représentants a estimé que si Barack Obama avait pu dire par le passé qu'il n'était "pas un roi, pas un empereur, il a certainement agi comme s'il en était un".
Sur les 11 millions d'immigrés en situation irrégulière aux Etats-Unis, le décret présidentiel permettra à 4,4 millions de personnes ayant un lien de parenté avec des citoyens en règle de rester temporairement aux Etats-Unis.
Ces personnes auront le droit de postuler pour un emploi, sans pour autant être éligibles au nouveau système de soins de santé mis en place par l'administration Obama. Il faut avoir résidé aux Etats-Unis pendant au moins cinq ans pour pouvoir bénéficier de la mesure.
Une disposition de 2012 qui permet aux enfants arrivés illégalement avec leurs parents de rester sur le sol américain devrait en outre être étendue à 270.000 personnes de plus.
"VOTEZ UNE LOI"
Dans son discours, Barack Obama a estimé que "de laisser un système cassé en l'état" reviendrait à l'amnistie décriée par ses adversaires, ajoutant que "d'essayer d'expulser l'ensemble des 11 millions de personnes vivant de manière irrégulière aux Etats-Unis n'était pas réaliste".
"Ce que j'esquisse, c'est un approche équilibrée, qui fait appel au bon sens. Si vous respectez les conditions, vous pouvez sortir de l'ombre et vous mettre en conformité avec la loi. Si vous êtes un criminel, vous serez expulsé."
Anticipant les attaques des républicains sur le recours au décret, Barack Obama a souligné que sa décision était non seulement conforme à la loi mais qu'elle s'inscrivait dans la droite ligne de la manière d'agir de présidents depuis un demi-siècle, qu'ils soient républicains ou démocrates.
"Et aux membres du Congrès qui remettent en cause mon autorité me permettant d'essayer d'améliorer notre système d'immigration ou qui me reprochent d'agir là où le Congrès a échoué, je n'ai qu'une seule réponse : votez une loi", a poursuivi le président américain.
Le Congrès fera le nécessaire pour invalider ce décret, a averti jeudi Mitch McConnell, président d'un Sénat où les Républicains seront majoritaires à partir de janvier, estimant que le projet excède les prérogatives présidentielles.
Un peu plus de deux semaines après son revers aux élections de mi-mandat, Barack Obama a dépêché son chef de cabinet Denis McDonough au Capitole pour tenter de désamorcer la crise, que le député républicain Paul Ryan, colistier de Mitt Romney à la présidentielle de 2012, a qualifiée de "bombe partisane".
En juin 2013, le Sénat encore démocrate a voté une réforme de l'immigration qui a ensuite été rejetée par la Chambre des représentants, où les républicains étaient déjà majoritaires. Depuis, le président a promis des mesures d'aide à une partie des étrangers en situation irrégulière.
Certains élus de l'aile conservatrice du Parti républicain ont menacé de recourir à l'arme budgétaire pour empêcher l'application de cette réforme, au risque de provoquer un nouveau "shutdown", une cessation de paiement de l'administration, mais les chefs de file du parti n'y sont pas favorables. Plusieurs démocrates ont regretté que le président procède par décret.
A cette menace, Barack Obama a répondu que les Américains en ont assez du "blocage" des institutions.
Des responsables de l'administration Obama ont déclaré que le décret de Barack Obama se traduirait par un redéploiement des services d'immigration vers les frontières des Etats-Unis. Les expulsions viseront moins les familles et surtout des trafiquants de drogue et des criminels.
Selon ces responsables, les mesures décidées par Barack Obama représentent la plus importante modification de la politique d'immigration depuis les changements introduits par Ronald Reagan en 1986.
(Avec la contribution d'Amanda Becker à Washington et de Mica Rosenberg, Jean-Philippe Lefief et Benoît Van Overstraeten pour le service français)