par Ann Saphir
SAN FRANCISCO (Reuters) - L'amélioration du marché de l'emploi aux Etats-Unis réduit le risque d'un retournement inattendu qui viendrait compromettre la reprise de l'économie une fois que la Réserve fédérale aura relevé ses taux directeurs, a déclaré John Williams, le président de la Fed de San Francisco.
La crainte de devoir faire machine arrière et de ramener l'objectif des fonds fédéraux à des niveaux proches de zéro, qui ne laissent plus guère de marges de manoeuvre, si leur relèvement intervenait trop tôt explique en grande partie la prudence dont la Fed a fait preuve dans le durcissement de sa politique monétaire malgré l'affirmation de la reprise.
La dissipation de ce risque pousse désormais les responsables monétaires à se préoccuper de la trajectoire appropriée pour la hausse des taux plutôt que de celui de devoir les ramener à zéro, a dit Williams lors d'un entretien à Reuters. Une opinion qui semble de plus en plus partagée au sein de la Réserve fédérale.
"Avec le temps, cette probabilité de nous dire 'eh bien les chocs vont nous obliger à faire machine arrière' semble moindre, semble diminuer", a dit Williams qui est cette année l'un des dix membres votants du comité de politique monétaire de la Réserve fédérale et dont les positions sont considérées comme très proches de celle de la présidente de l'institution, Janet Yellen.
"Plus important encore, nous réfléchissons vraiment à une trajectoire, nous discutons d'une modification des taux d'intérêt de zéro à un niveau normal sur plusieurs années", a-t-il ajouté, faisant écho aux déclarations récentes d'autres responsables monétaires de la Fed.
"Ainsi même si l'économie devait subir des chocs défavorables, la question serait probablement celle d'une trajectoire (de hausse) moins pentue ou peut-être d'une hausse des taux plus lente."
RELÈVEMENTS, INDICATEURS ET T-SHIRTS
Pour diffuser le message, Williams a commencé à distribuer des T-shirts, fabriqués à ses frais, sur lesquels est imprimée une flèche pointant vers le haut et sortant d'un écran d'ordinateur avec le message suivant : "La politique monétaire, ça dépend des données."
Un slogan qui résume l'inflexion de plus en plus nette dans la communication de certains des responsables monétaires influents de la Fed, de moins en moins préoccupés par le risque d'un relèvement des taux trop précoce mais de plus en plus soucieux de calibrer une hausse des taux qui permettra d'accompagner une reprise soutenue.
Pour Williams, la Fed doit désormais mesurer les risques d'une trop longue attente avant un premier relèvement des taux. La crainte est qu'un relèvement trop tardif ne contraigne ensuite la Fed à durcir sa politique monétaire d'une manière plus agressive et potentiellement déstabilisante si une croissance économique plus forte se traduisait par des pressions inflationnistes.
"Un peu plus tôt et de manière plus graduelle d'un côté, plus tard et plus offensif de l'autre, voilà nos options."
Certains responsables monétaires de la Fed comme le président de la Fed de Minneapolis et celui de la Fed de Chicago continuent de considérer que les risques liés à un relèvement trop rapide sont plus élevés que ceux liés à un relèvement tardif.
Le mois dernier, les économistes ont décalé leurs anticipations sur le premier relèvement des taux plus tard dans l'année par rapport à leurs attentes précédentes d'une hausse à la mi-année après la révision en baisse par la Fed de ses perspectives économiques.
De récentes déclarations de responsables monétaires laissent toutefois penser que la Fed serait prête à agir si les données sur l'économie au cours des deux prochains mois confirment la poursuite des créations d'emplois et le rebond attendu de l'activité après un début d'année en demi-teinte.
DE JUIN À SEPTEMBRE
Au cours des quinze derniers jours, trois gouverneurs de la Fed ont souligné que la question était moins celle de la date du premier relèvement que celle de la trajectoire et de la durée de la hausse des taux. Jerome Powell a même clairement dit la semaine dernière que la Fed ne devrait pas attendre que ses objectifs de plein emploi et d'un retour de l'inflation à 2% en rythme annuel soient atteints avant d'agir.
L'économie américaine se rapprochant du plein emploi, il est moins nécessaire de maintenir les taux à des niveaux proches de zéro pour compenser l'incapacité de la banque centrale à les baisser à nouveau en cas de choc défavorable, a dit Williams.
Il a ajouté qu'indépendamment du calendrier du premier relèvement, les taux devraient rester en dessous de niveau dit "neutre" pour aider l'économie à croître à un rythme plus soutenu que celui de la croissance potentielle.
Cette politique toujours accommodante est nécessaire pour abaisser encore le taux de chômage, lequel, à 5,5%, reste selon lui trop élevé, et pour accélérer l'inflation, très en-dessous de l'objectif de 2% de la Fed.
Pour le président de la Fed de San Francisco, l'économie américaine devrait renouer avec le plein emploi dans six à douze mois et le resserrement du marché du travail s'accompagnera plus généralement d'une hausse des salaires et de l'inflation.
Les déclarations des représentants de la Fed et les projections publiées le mois dernier laissent penser qu'une majorité de responsables monétaires seraient prêts à un premier relèvement en juin ou dans la période de juin à septembre.
Williams s'est refusé à donner une quelconque indication sur le calendrier.
"Juin, c'est très loin, nous aurons plus de données d'ici juin", a-t-il dit. "Je ne parlerai pas de juin ou de septembre. Regardez le T-shirt."
(Marc Joanny pour le service français, édité par Patrick Vignal)