par Lamine Chikhi et Sophie Louet
ALGER/PARIS (Reuters) - Emmanuel Macron, en visite-éclair à Alger, a exprimé mercredi le voeu d'ouvrir "une page d'avenir" avec l'Algérie loin des passions et antagonismes passés dont il a regretté qu'ils "bloquent" encore le partenariat entre la France et son ancienne colonie.
Dix mois après ses propos qualifiant la colonisation française de "crime contre l'humanité", le chef de l'Etat, qui a rencontré le président Abdelaziz Bouteflika et déjeuné avec des membres de la société civile, a appelé à des "gestes réciproques" pour aider au travail de mémoire.
Pour cette première visite officielle en Algérie, il s'est ainsi dit prêt à ce que la France restitue les crânes d'insurgés algériens tués au XIXe siècle par l'armée française et conservés au Musée de l'Homme à Paris.
Pressé par des jeunes, lors d'un bain de foule dans le centre d'Alger, de "donner des visas", le président français a défendu un partenariat économique ambitieux entre les deux pays afin de donner des perspectives locales à la jeunesse.
"J'ai vu ce matin trop de jeunes qui m'ont simplement demandé d'avoir un visa. Ce n'est pas un projet de vie", a-t-il déclaré lors d'une conférence de presse à l'issue de son entrevue avec Abdelaziz Bouteflika.
"Construire les choses" de manière "pragmatique", "dépassionné" : le président français a assorti son message de renouveau de deux annonces.
"MOI JE NE SUIS PAS BLOQUÉ"
La création d'un fonds d'investissement franco-algérien "qui permettrait d'accompagner les entrepreneurs algériens investissant en France et les entrepreneurs français désireux de se rendre en Algérie." Le chef de l'Etat n'a pas précisé le montant de ce dispositif.
Il a en outre annoncé la fondation prochaine d'une école pour la formation des jeunes en matière de numérique, sur le modèle de l'école "42" de Paris créée, notamment, par Xavier Niel. "Le jeunesse veut faire et nous devons la laisser faire".
"L'ambition que j'ai pour la relation entre l'Algérie et la France n'a rien à voir avec ce qu'on a fait depuis des décennies. C'est une histoire nouvelle qui s'écrit", a souligné Emmanuel Macron.
Il a vivement répliqué à un journaliste algérien qui l'interrogeait sur la période coloniale : "Ne me posez pas les questions d'il y a vingt ans, de quelqu'un qui vit encore dans des complexes qui n'ont plus cours."
"Ses repères bloquent la relation bilatérale, ils ne m'intéressent pas", a-t-il lancé.
"Moi je ne suis pas bloqué, je suis très décomplexé. J'ai dit les choses sur le passé (...) j'ai reconnu les choses, toutes les pages, j'ai demandé aussi des efforts au gouvernement algérien parce qu'il y a chez moi des Françaises et Français qui aiment furieusement l'Algérie, qui veulent pouvoir y revenir", a-t-il poursuivi en appelant de ses voeux une relation "d'égal à égal" qui ne soit pas "étouffée".
Dans un entretien au quotidien algérien El Watan, le dirigeant de 39 ans affirme ne pas être "otage du passé".
"LES OBSTACLES EXISTENT"
"C’est une page d’avenir que je viens ouvrir avec la nouvelle génération algérienne, qui doit regarder différemment la France, qui doit regarder différemment les promesses de son pays", a-t-il insisté en marge de son bain de foule.
"Tourner la page" - un souhait exprimé par ses prédécesseurs à l'Elysée - s'annonce difficile, selon les observateurs. "La France est restée 130 ans en Algérie et donc, pour tourner la page, c’est difficile car elle est lourde. Il faut la lire et cela prend du temps", a souligné l'historien Benjamin Stora, qui a accompagné Emmanuel Macron à Alger, sur France Inter.
"Bien sûr, les obstacles existent", reconnaît Emmanuel Macron dans El Watan, "mais il nous appartient de les surmonter avec tous les acteurs de nos sociétés"
L'Algérie est devenue au cours de ces dernières années un acteur clef dans la résolution des conflits régionaux, en Libye mais également au Sahel où la France est présente militairement via son opération antiterroriste Barkhane.
Quelques jours seulement après son élection, Emmanuel Macron avait haussé le ton, prévenant que la France ferait preuve d'une "exigence renforcée" vis-à-vis de ses partenaires, notamment de l'Algérie, soupçonnée d'apporter son soutien, à Iyad Ag-Ghali, chef du mouvement djihadiste malien Ansar Dine.
"Ma position n’a pas changé", indique-t-il à El Watan. "J’attends une coopération totale de tous ceux qui partagent l’objectif d’une paix durable au Mali. Et en effet j’attends beaucoup de l’Algérie" dans la lutte contre le terrorisme.
(avec John Irish et Marine Pennetier à Paris)