Fin d'une époque pour les dirigeants des sociétés françaises cotées: leurs bonus, retraites chapeau et autre parachutes dorés peuvent désormais être refusés par les actionnaires, qui pourront aussi bloquer l'an prochain le paiement de primes jugées excessives.
Cette année, Carlos Ghosn pourrait ne pas obtenir d'augmentation. Le patron de Renault (PA:RENA) avait fait face l'an dernier à une fronde de ses actionnaires, qui avaient rejeté à 54% sa rémunération de 7,2 millions d'euros au titre de l'exercice 2015.
Sans conséquence, puisque le conseil d'administration l'avait immédiatement confirmée, provoquant une polémique nationale et précipitant le vote d'une loi pour empêcher ce type de passage en force.
Le texte a commencé à s'appliquer dans les assemblées générales des sociétés cotées en Bourse. Désormais, les actionnaires doivent valider la méthode de calcul des rétributions des dirigeants pour 2017, dont tous les éléments sont pris en compte: salaire fixe, primes variables, bonus exceptionnels, actions gratuites, jetons de présence, avantages en nature.
S'ils votent contre, les critères de 2016 s'appliqueront encore en 2017, à moins qu'une deuxième mouture ne soit approuvée lors d'une nouvelle assemblée générale. Mais tous les groupes préfèrent s'éviter un désaveu cinglant.
- "Auto-limitation" -
"Tout le monde appréhende et se demande comment présenter les choses. En amont, les conseils d'administration ou de surveillance sont encore plus sensibles au sujet", indique à l'AFP l'avocat d'affaires Gérard Cohen, qui conseille certaines entreprises concernées.
"Il y a eu un gros effort d'explication, justement pour éviter les votes négatifs", confirme sa consoeur Stéphanie de Robert Hautequère du cabinet Fidal.
Dans le même temps, "les sociétés ont tendance à augmenter le salaire fixe pour limiter l'aléa sur la part variable", observe-t-elle, ajoutant qu'"un des objectifs recherchés par la loi c'est l'auto-limitation".
La crainte d'un veto pèse aussi sur les primes exceptionnelles "liées à une fusion, une acquisition ou une cession, et mal vues par les investisseurs", explique à l'AFP Loïc Dessaint, directeur du cabinet Proxinvest, qui conseille, lui, les actionnaires. De fait, "la plupart des sociétés ont compris et évitent de prévoir" ce type de bonus, constate-t-il.
Alstom (PA:ALSO) aurait aujourd'hui plus de mal à justifier les 4,5 millions de d'euros payés début 2016 à son ancien PDG Patrick Kron, gratifié pour la vente de l'ex-branche énergie du groupe. Les actionnaires s'y étaient opposés six mois plus tard, en vain.
A partir de 2018, il sera même impossible de verser ce type de bonus sans l'aval des actionnaires. "Ils pourront refuser une rémunération même s'ils ont approuvé les critères l'année d'avant", relève Mme de Robert Hautequère, soulignant que "la part variable ne pourra pas être versée avant l'assemblée générale".
- Attendus au tournant -
Dès cette année, un vote négatif sur les montants dus pour 2016 dans la centaine de sociétés appliquant le "code de gouvernement d'entreprise" de l'Afep et du Medef devra être suivi d'effet. Si cela se produit, "on s'attendra à ce que le conseil d'administration modifie les rémunérations", prévient l'avocate.
Un droit de censure bienvenu "si le conseil fait n'importe quoi à partir d'une politique qui a été approuvée", juge M. Dessaint, citant l'exemple britannique du patron de BP (LON:BP), Bob Dudley, augmenté l'an dernier de 20% contre l'avis des actionnaires, et alors que le groupe essuyait de lourdes pertes.
En France, Carlos Ghosn n'est pas le seul patron attendu au tournant cette année. Alors que les rémunérations sont généralement approuvées à une très large majorité, Olivier Brandicourt (Sanofi (PA:SASY)) et Jean-Paul Tricoire (Schneider Electric (PA:SCHN)), qui avaient recueilli seulement 60% des votes l'an dernier, espèrent sans doute de meilleurs scores cette fois-ci.
"Si vous passez très juste, vous risquez de développer des recours pour abus de majorité", prévient Gérard Cohen, même si de tels contentieux auraient peu de chances d'aboutir.
Quelques dirigeants ayant affaire à l'Etat actionnaire, comme Henri Poupart-Lafarge (Alstom) ou Jean-Marc Janaillac (Air France-KLM), auront peut-être besoin de trouver d'autres alliés. Car aucun patron n'est à l'abri d'une fronde, comme celui d' Elior (PA:ELIOR), Philippe Salle, en a fait l'expérience en mars.
"On espère qu'il y aura quelques rejets, car il ont des bienfaits fous. C'est ce qui permet de faire avancer la place en matière de transparence", affirme M. Dessaint.