par Simon Carraud
PARIS (Reuters) - Le second tour de l'élection présidentielle approchant, Marine Le Pen a fait des choix qui ont brouillé son discours et son image, en particulier lors du tumultueux débat avec Emmanuel Macron qui a semé le doute dans ses rangs sur sa stature réelle.
Malentendus sur l'euro, plagiat d'un discours de François Fillon et promotion d'un cadre de la première heure accusé de négationnisme : les impairs ont rythmé la fin de campagne après une première semaine d'entre-deux-tours pourtant menée sous le signe du volontarisme et du coup d'éclat tactique.
"Nous pouvons gagner", a estimé vendredi la candidate du Front national, sur RTL.
Les instituts de sondages mesurent toutefois un tassement des intentions de vote en sa faveur et, mécaniquement, une remontée d'Emmanuel Macron, crédité de près de 25 points d'avance à deux jours du scrutin.
La série noire a commencé avec la nomination de Jean-François Jalkh à la tête du parti d'extrême droite pour assurer l'intérim de Marine Le Pen, en "congé" de la présidence.
Aussitôt, la presse a exhumé des déclarations prêtées à ce dirigeant historique mais jusque-là resté dans l'ombre, dans lesquelles il cite les thèses d'un auteur négationniste concernant l'usage de Zyklon B dans les chambres à gaz nazies.
Jean-François Jalkh a démenti avoir tenu de tels propos. Les dirigeants du FN ont pour leur part parlé de "manipulation", avant d'écarter leur président éphémère au profit du maire d'Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), Steeve Briois.
A partir du week-end dernier, c'est un pan essentiel du programme - la volonté d'abandonner la monnaie unique européenne - qui a donné lieu à un imbroglio au sommet de la hiérarchie frontiste.
VERSIONS CONTRADICTOIRES
L'accord de gouvernement scellé avec Nicolas Dupont-Aignan et révélé le 29 avril précise que cette mesure, sur laquelle Marine Le Pen fonde l'essentiel de son programme économique, n'avait rien d'un "préalable", ouvrant la voie à des interprétations divergentes.
En marge de la conférence de presse Le Pen-Dupont-Aignan, Marion Maréchal-Le Pen a laissé entendre que le processus de retour au franc pourrait s'étaler sur plusieurs années et non sur quelques mois comme le prévoit le calendrier du FN.
Un membre de l'équipe de campagne, joint par Reuters lundi dernier, a par ailleurs livré, à deux heures d'intervalle, deux scénarios contradictoires d'une sortie de l'euro.
Marine Le Pen a par la suite réaffirmé, notamment durant une interview à Reuters, son intention de revenir à une monnaie nationale cohabitant avec une "monnaie commune" européenne après "six ou huit" mois de négociation, suivies d'un référendum sur l'appartenance de la France à l'UE.
Mais le sujet ne fait toujours pas consensus au sein du parti d'extrême droite, certains jugeant une telle mesure trop impopulaire et donc trop coûteuse électoralement.
Après l'épisode du plagiat d'un discours de François Fillon, présenté par Marine Le Pen comme un "clin d'oeil" délibéré à l'électorat de droite, le débat avec Emmanuel Macron est venu troubler une partie des troupes.
Face à son concurrent, Marine Le Pen a résolument opté mercredi pour une stratégie offensive, au risque d'altérer la stature présidentielle et l'image de chantre d'une "France apaisée" qu'elle s'est efforcée de bâtir depuis 2016.
"RESSAISISSEZ-VOUS"
Sur les réseaux sociaux, les messages de sympathisants déçus de sa prestation ont fleuri durant la soirée et la presse a relayé des commentaires de cadres frontistes qui, en privé, ont fait état de leur découragement.
Jean-Marie Le Pen, avec qui la candidate est en froid depuis trois ans, a quant à lui jugé que sa fille avait "peut-être manqué de hauteur".
"Patriotes, ressaisissez-vous enfin !", s'est indigné sur Twitter Jean Messiha, coordinateur du programme. "Où est votre foi en la France ? Comment convaincre si vous doutez ? Chargez que diantre !"
Mais une partie de l'état-major semble avoir déjà fait une croix sur la présidentielle et songe désormais à l'étape suivante, les législatives du mois de juin, la jauge qui permettra d'évaluer la place exacte du parti au cours des cinq prochaines années - à la marge ou au coeur du jeu politique.
"L'objectif, c'est la victoire (dimanche-NDLR) et, à défaut, c'est vrai que 40% nous positionneraient particulièrement bien pour être l'opposition ou peut-être même la majorité dans cette Assemblée", a jugé jeudi Marion Maréchal-Le Pen lors d'un entretien L'Opinion et Boursorama.
Le parti, dont la présence à l'Assemblée nationale est résiduelle depuis 30 ans, espère se constituer un groupe d'au moins 15 députés, voire beaucoup plus si l'élan de la présidentielle est suffisant.
Au-delà, se pose la question du sort de Marine Le Pen, créditée de 38% des intentions de vote dans un sondage Odoxa publié vendredi.
"Si ce résultat se confirme dimanche prochain, ce sera un sérieux coup dur pour Marine Le Pen qui, malgré sa qualification en finale, ne sera pas/plus forcément la mieux placée pour incarner l’opposition à Emmanuel Macron et se mettre en bonne situation pour les législatives", note l'institut.
(Avec Sophie Louet, édité par Yves Clarisse)