PARIS (Reuters) - L'augmentation du nombre de Français qualifiés qui s'expatrient ne relève pas d'une "fuite des cerveaux" mais la France doit évoluer pour pouvoir bénéficier de la progression de la mobilité internationale, estime le Conseil d'analyse économique (CAE).
Pour profiter des opportunités liées à ce phénomène, la France ne doit surtout pas décourager la mobilité sortante, ce qui serait "contre-productif", mais plutôt renforcer son attractivité pour favoriser les retours, encourager les arrivées de personnes qualifiées et retenir les étudiants étrangers après leurs études dans l'Hexagone, observe cet organisme rattaché aux services du Premier ministre dans une note publiée mardi.
Dans cette optique, les auteurs de cette étude soulignent notamment la nécessité d'une évolution du financement de l'enseignement supérieur.
L'instauration d'une tarification des frais de scolarité proche du prix coûtant pour les étudiants hors Union européenne figure parmi les pistes proposées, ce qui permettrait "de faire participer pleinement ces étudiants aux programmes existants sans faire supporter leur coût au contribuable français".
L'organisation du modèle social français, associant la gratuité des études primaires et secondaires, une prédominance de la quasi-gratuité dans l'enseignement supérieur et une large couverture du système de santé le rend en effet vulnérable à la mobilité croissante des travailleurs qualifiés, puisque les départs se concentrent sur les tranches d'âge qui apportent une contribution nette au système social et fiscal.
ATTIRER ET RETENIR
"En l'absence de toute autre considération qui limiterait la mobilité internationale (attachements familiaux, capital social), le parcours optimal pour un individu mobile serait de se former en France, de partir à l'étranger pour démarrer une carrière de haut niveau, puis de rentrer en France à l'âge où il faut payer les études pour ses enfants ou se soigner", relèvent les auteurs.
Autre levier identifié pour encourager les retours des plus de trois millions de Français installés à l'étranger et attirer davantage d'immigrants qualifiés: l'amélioration de la prévisibilité et de la portabilité des droits à la retraite, qui constituent autant de freins à la mobilité.
Un effort doit également être fait en termes de simplification de l'accueil des étrangers à haut potentiel et des étudiants étrangers, avec une généralisation des "guichets uniques", au niveau régional pour les personnes qualifiées et au niveau des pôles universitaires pour les étudiants.
Ces évolutions sont d'autant plus nécessaires que "la mobilité internationale croissante des qualifiés touche semble-t-il surtout les 'talents', de façon plus importante dans le sens des départs que des arrivées", observent les auteurs en soulignant que "la qualité de vie en France ne suffi(t) pas pour les attirer où les retenir".
LES FRANÇAIS DE L'ÉTRANGER, VIVIER DE HAUTES QUALIFICATIONS
Cette tendance semble se manifester dès le stade de la mobilité estudiantine, "qui précède et favorise les mobilités professionnelles" et la France "parvient moins bien que d'autres pays à retenir ses étudiants étrangers après obtention de leur diplôme", peut-on lire dans cette étude.
En 2013, la France se situait au quatrième rang des pays d'accueil des étudiants en mobilité internationale (6% de l'effectif total), derrière les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l'Australie.
Mais l'augmentation des effectifs d'étudiants étrangers depuis les années 1990 s'y est avérée bien inférieure à la progression constatée parallèlement en Suisse, au Royaume-Uni et surtout en Italie.
Malgré la difficulté à quantifier précisément ces phénomènes sur le plan statistique, ces déséquilibres conduisent les auteurs à dresser "un constat en demi-teinte" de la situation française, même s'ils appellent à relativiser les craintes sur la "fuite des cerveaux" en rappelant que les départs contribuent au développement des échanges intellectuels et commerciaux et que "les retours éventuels seront très bénéfiques".
Les auteurs invitent donc à "maintenir et renforcer le lien social" avec la population française à l'étranger, décrite comme "un vivier de hautes qualifications dont la probabilité de retour en France n'est pas négligeable".
Ils suggèrent à cet effet d'améliorer dans un premier temps le suivi statistique des nationaux Français non-résidents, avant d'envisager à plus long terme "un système de droits et de devoirs renforcés", avec par exemple des cotisations facultatives leur offrant des facilités en matière d'inscription et de tarifs dans les établissements scolaires français à l'étranger et dans les universités françaises.
(Myriam Rivet, édité par Yves Clarisse)