par Mimosa Spencer
PARIS (Reuter) - La pression s'accroît sur Kering (EPA:PRTP) après le départ surprise d'Alessandro Michele, l'exubérant directeur artistique de Gucci, la marque phare du groupe de luxe français, alors que la maison de couture italienne est confrontée à un ralentissement de sa croissance.
Ce départ, après 20 années chez Gucci, dont sept à la tête de la création, intervient alors que Kering cherche à donner un nouvel élan à la marque qui a représenté deux tiers de ses bénéfices l'an dernière, et avant la lucrative saison des fêtes de fin d'année.
Selon des sources, de fortes tensions existaient entre le créateur et la direction.
"Il y a des moments où les chemins se séparent en raison des perspectives différentes que chacun de nous peut avoir", a déclaré mercredi Alessandro Michele, dans le communiqué annonçant son départ. Le président-directeur général de Kering, François-Henri Pinault, a lui qualifié de "moment extraordinaire" le chemin parcouru par Alessandro Michele au sein de Gucci.
François-Henri Pinault n'a pas nommé de successeur.
Ce départ, sans remplaçant évident, crée un vide que la marque doit remplir rapidement, estiment les analystes. "Cela soulève quelques points d'interrogation à notre avis sur l'exécution et l'évolution de la marque dans les mois à venir", a indiqué Chiara Battistini, analyste chez J.P. Morgan, dans une note jeudi. "Plus que le simple départ de l'un des créateurs les plus emblématiques de la dernière décennie", il s'agit d'une "remise en question plus profonde" de la marque chez Kering, estiment de leur côté les analystes de Jefferies. "La prochaine étape est forcément plus compliquée maintenant", ont-ils ajouté. Le titre Kering, dont la capitalisation boursière dépasse les 66 milliards d'euros, est à la traîne comparé aux autres géants du secteur du luxe. Il a perdu un quart de sa valeur cette année.
MOCASSINS EN FOURRURE
Alessandro Michele, 49 ans, a redynamisé la marque avec son style excentrique et fluide, populaire auprès des jeunes acheteurs.
Parmi ses premiers succès, on trouve les mocassins à plus de 1.000 dollars, doublés de fourrure et à mors de cheval, signature de la marque, ainsi que le sac à main Dionysus et son fermoir à têtes de tigres, qui se vend aux alentours de 900 dollars pour les petits modèles.
Auparavant chargé de la conception des accessoires, sa promotion en 2015 à la tête de la direction artistique a contribué à alimenter les bénéfices, qui ont quadruplé en 2019 pour un chiffre d'affaires qui a grimpé à près de 10 milliards d'euros, contre moins de 4 milliards auparavant.
Cependant, ces dernières années, la croissance a ralenti tandis que des rivaux comme Dior et Louis Vuitton, détenus par le groupe de luxe rival LVMH (EPA:LVMH), ont tiré leur épingle du jeu.
Les ventes au troisième trimestre de la division mode et maroquinerie de LVMH ont augmenté de 22% tandis que celles de Gucci ont progressé de 9%, en deçà des attentes du marché. Un ralentissement attribué à la perte d'appétit pour le style du créateur par certains analystes, qui doutent de l'objectif, fixé en juin, d'un chiffre d'affaires annuel de 15 milliards d'euros à moyen terme.
La marque a également souffert des confinements liés au COVID-19 en Chine où elle dispose d'un vaste réseau de magasins et d'une plus grande exposition par rapport aux autres poids lourds du secteur.
La Chine représente environ 35% des ventes annuelles de Gucci, selon les estimations de Barclays (LON:BARC), contre 27% pour la division mode et maroquinerie de LVMH et 26% pour Hermès (EPA:HRMS).
FAIRE TABLE RASE
Le temps ne joue pas en faveur de la marque emblématique.
Bien qu'un changement aussi radical soit positif, "il pourrait falloir environ un an pour voir les résultats de tout changement esthétique", estime UBS, citant les délais de conception et de production.
Selon les observateurs du secteur, un grand nombre de successeurs sont possibles, parmi les grands créateurs ou de relatifs inconnus, qui pourraient venir de Gucci comme Alessandro Michele.
Un changement radical pourrait apporter à la marque un effet "tabula rasa", comme Demna Gvasalia l'a fait chez Balenciaga. Sinon, il est possible de s'appuyer sur la direction d'un créateur précédent, comme Anthony Vaccarello, qui a poursuivi l'héritage de Hedi Slimane chez Saint Laurent, indique Serge Carreira, responsable initiative marques émergentes à la Fédération de la haute couture et de la mode (FHCM).
"Vous pouvez aussi avoir un moment de statu quo (...) faire une pause d'un an", a-t-il ajouté. "Il y a quand même des studios, des équipes et des usines très compétents." L'équipe en place pourrait continuer à concevoir des collections, comme l'a fait l'équipe masculine de Louis Vuitton, après le décès du créateur Virgil Abloh l'année dernière.
Mais étant donné la force de l'esthétique et de l'identité de marque d'Alessandro Michele, un changement de positionnement pourrait signifier davantage une "révolution qu'une évolution", estime Chiara Battistini de J.P. Morgan.
"Selon nous, cela pourrait signifier une période de perturbation relative, à la fois sur le plan opérationnel et financier, ce qui pourrait mettre en veilleuse la réévaluation de Kering pour le moment", a-t-elle ajouté.
(Reportage Mimosa Spencer et Silvia Aloisi; Version française Kate Entringer)