L'image serait presque belle si elle n'était pas choquante: des containers remplis de fruits et légumes colorés et frais, d'autres regorgeant de yaourts et féculents, bien emballés et non périmés. Bienvenue dans les poubelles de vos supermarchés.
Armés de lampes frontales, protégés par des gants de ménage, une poignée de "glaneurs" et "glaneuses" -fédérés dans le mouvement des "Gars'pilleurs"-s'affaire dans la nuit à récupérer ces denrées, jetées dans des bacs à côté d'un magasin Grand Frais, dans la banlieue sud de Lyon.
L'opération a commencé vers 22H00. Ici, point d'odeur de javel, qui a longtemps servi à rendre les produits jetés impropres à la consommation. Plutôt des effluves de coriandre et de menthe mêlées à celles de tomates bien mûres. Il y aurait de quoi faire une soupe géante. De quoi remplir aussi plusieurs chariots de supermarché: brocolis, ananas, oranges, saucissons briochés, truite fumée...
Tout est comestible, la DLC (date limite de consommation) n'arrivant que dans une poignée de jours.
"On peut se faire des smoothies!", plaisante Max, 28 ans, le chef de la bande. Pour lui, c’est la preuve que le récent accord contre le gaspillage entre le ministère de l'Ecologie et la grande distribution est un leurre.
Il se définit comme glaneur, le glanage étant un droit remontant au Moyen-âge consistant à récupérer dans les champs les épis oubliés par les moissonneurs. "Maintenant que les supermarchés sont partout, on ne glane plus les champs, on glane les grandes surfaces", argue-t-il.
A chaque début d'opération, il prévient aussi les nouveaux: "Si on croise la sécurité ou les gendarmes, le mouvement des Gars'pilleurs n'existe pas. Vous êtes étudiants et vous avez faim. Moins on reste dans les lieux, mieux c'est. A la fin, on laisse propre".
- Mal au coeur -
Après la razzia, Max va chercher sa fourgonnette. Les "Gars'pilleurs" la remplissent en quelques minutes. Pas question de s'éterniser, puisqu'ils agissent dans l'illégalité, ayant franchi le portail du supermarché, propriété privée.
En revanche, ils n'enfreignent pas la loi lorsque, un peu plus tard, ils tombent sur la poubelle d'un Leclerc, posée à quelques mètres de l'entrée du supermarché.
Là encore, jackpot! Plusieurs dizaines de kilos de denrées non périmées leur tendent les bras. "On a des dizaines de pizzas qui se périment le 27/09 et on est le 24 !" soupire le jeune homme.
Soudain, une dame travaillant dans un bâtiment proche arrive, méfiante, croyant que le groupe dégrade les lieux. Quand Max lui montre la nourriture grappillée, elle approuve.
"J'ai travaillé dans la grande surface, je sais ce que c'est! On jetait 10 jours avant la DLC. En tant qu'employés, on ne pouvait rien faire, on ne pouvait pas récupérer. C'est minable, cette pratique".
Contactée par l'AFP, la responsable d'une de ces enseignes admet que "ça fait mal au cœur de jeter". "On ne peut pas prendre le risque de faire tomber des gens malades", plaide-t-elle. Elle assure que son groupe "a contacté deux fois des associations pour qu'elles récupèrent dans les poubelles et elles ne sont pas venues".
- Je mange plus varié en faisant les poubelles -
Agathe, "glaneuse" d'une vingtaine d'années, confie en farfouillant dans une poubelle de boulangerie: "j'ai mangé pendant un an grâce aux poubelles de Monoprix, en bas de chez moi". Cécile, décomplexée, ajoute: "Je mange beaucoup plus varié depuis que je fais les poubelles!".
Le lendemain, à 13h00, distribution gratuite des articles récoltés dans l'artère la plus passante de Lyon. En moins d'une heure, tout est parti.
"Vraiment, ça me choque. Je comprends pas qu'aujourd'hui on puisse jeter,", se désole Katib, un chef d'entreprise. Mélanie Thénot, 25 ans, ne se sert pas, mais trouve "inadmissible" ce gâchis, alors qu'est organisée le 16 octobre la journée de lutte contre le gaspillage.
Une fois le stock écoulé, Max et son équipe mettent les voiles. Ils n'avaient pas d'autorisation pour leur opération de "désobéissance civile".