par Munsif Vengattil, Stephen Nellis et Adam Jourdan
SAN FRANCISCO/BANGALORE/SHANGHAI (Reuters) - Apple (NASDAQ:AAPL) a pris mercredi la décision rare d'abaisser sa prévision de chiffre d'affaires trimestriel, son directeur général Tim Cook mettant en cause le ralentissement des ventes d'iPhone en Chine, dont l'économie souffre des incertitudes liées aux tensions commerciales avec les Etats-Unis.
Cet avertissement du géant de la technologie a fait plonger le titre Apple dans les échanges après la clôture à Wall Street, entraînant dans son sillage ses fournisseurs en Asie et en Europe et provoquant un repli généralisé des Bourses à travers le monde.
L'abaissement de la prévision de chiffre d'affaires d'Apple pour la période octobre-décembre, premier trimestre de son exercice décalé, pourrait être le signe d'un ralentissement plus marqué que prévu de l'économie chinoise, susceptible de contraindre les entreprises de nombreux secteurs à ajuster leurs anticipations sur ce marché.
"Même si nous anticipions des difficultés dans des marchés émergents importants, nous n'avons pas mesuré l'ampleur de la décélération économique, surtout en Grande Chine", déclare Tim Cook dans une lettre adressée aux investisseurs.
Apple est dans situation délicate en Chine, un pays important non seulement pour ses ventes mais aussi parce qu'il y fabrique l'essentiel de ses produits qui sont ensuite exportés dans le monde entier.
L'arrestation le mois dernier au Canada de Meng Wanzhou, la directrice financière de son concurrent chinois Huawei Technologies, à la demande des Etats-Unis, a suscité une forte émotion en Chine, où ont été signalés des cas de consommateurs se détournant des produits Apple.
Avant même cette arrestation, les fabricants chinois gagnaient déjà des parts de marché à Apple en Chine.
Tim Cook a cependant déclaré à CNBC qu'Apple n'était pas pris pour cible par les autorités chinoises mais que certains consommateurs pourraient avoir décidé de ne pas acheter d'iPhone ou d'autres appareils du groupe, perçu comme un représentant des Etats-Unis.
"Le problème plus large est le ralentissement de l'économie (chinoise), puis les tensions commerciales qui l'ont exacerbé", a dit Tim Cook.
INTERROGATIONS SUR LES PRIX
Certains analystes s'interrogent cependant sur les propres initiatives du groupe, notamment son positionnement haut de gamme avec des prix toujours plus élevés.
"Les ventes d'Apple en Chine ne se portent pas bien depuis quelques trimestres, en partie parce que les prix sont trop élevés - au-delà de la barre des 1.000 dollars", souligne Kiranjeet Kaur, analyste au cabinet d'études IDC.
"(C'est) presque trois fois plus cher que les téléphones d'autres fabricants qui inondent le marché de masse."
Le marché chinois des smartphones a fortement reculé cette année, avec pour principales victimes Apple et Samsung Electronics (KS:005930).
Ce dernier a annoncé le mois dernier la fermeture de l'une de ses usines d'assemblage de téléphones mobiles en Chine, où sa part de marché est tombée à 1% au premier trimestre 2018 contre 15% mi-2013.
Apple prévoit désormais pour son premier trimestre un chiffre d'affaires de 84 milliards de dollars (74 milliards d'euros), contre une prévision initiale de 89 à 93 milliards de dollars. Le consensus des analystes est de 91,5 milliards de dollars, selon des données IBES de Refinitiv.
C'est la première fois depuis le lancement de l'iPhone en 2007 qu'Apple émet un avertissement sur son chiffre d'affaires avant la publication de ses comptes trimestriels.
L'action Apple a reculé de près de 8% après la clôture de Wall Street, ramenant la capitalisation de l'entreprise sous les 700 milliards de dollars, contre 1.100 milliards de dollars à son sommet, en octobre dernier.
Si ce repli se confirme à l'ouverture ce jeudi, Apple sera dépassé en termes de capitalisation par Alphabet (NASDAQ:GOOGL), qui atteint 730 milliards de dollars, et sera encore un peu plus distancé par Microsoft (NASDAQ:MSFT) et par Amazon (NASDAQ:AMZN).
SIGNES PRÉCURSEURS
L'avertissement d'Apple n'est pas totalement une surprise. En novembre, le groupe de Cupertino (Californie) avait dit qu'il ne communiquerait plus ses chiffres de ventes d'iPhone et d'autres appareils, ce qui avait amené nombre d'analystes à redouter une baisse des volumes de ventes du smartphone.
Plusieurs fournisseurs du groupe avaient ensuite annoncé des ventes inférieures aux attentes.
En novembre, Tim Cook avait évoqué un ralentissement de la croissance de pays émergents tels que le Brésil, l'Inde et la Russie pour expliquer la prévision prudente du groupe pour le premier trimestre. Il avait toutefois souligné qu'il "ne mettrait pas la Chine dans cette catégorie" de pays.
Apple est désormais la plus importante multinationale à s'inquiéter publiquement des conséquences du ralentissement de l'économie chinoise. Des constructeurs automobiles comme Ford (NYSE:F), Hyundai (KS:005380) et Nissan (T:7201) ont déjà annoncé leur intention de réduire leur production dans le pays.
Apple a cependant maintenu sa stratégie haut de gamme en Chine en dépit de ce ralentissement économique et de la vigueur du dollar.
"La question que vont se poser les investisseurs est dans quelle mesure cette stratégie de prix agressive d'Apple a exacerbé cette situation et ce que cela implique pour sa capacité de fixer ses prix à plus long terme au sein de sa gamme d'iPhone", dit James Cordwell, analyste d'Atlantic Equities.
Au quatrième trimestre clos le 29 septembre, les ventes unitaires de l'iPhone sont restées pratiquement inchangées par rapport à l'exercice précédent, tandis que le chiffre d'affaires de l'iPhone a augmenté de 18% à 166,7 milliards de dollars. Cette croissance résulte essentiellement de la hausse des prix.
Pour Hal Eddins, économiste chez Capital Investment Counsel, les propos de Tim Cook sur l'impact des tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine "pourraient être une critique contre (le président américain Donald) Trump, mais cet argument pourrait aussi constituer une excuse pour s'exonérer des erreurs commises par le groupe au cours du dernier exercice".
Voir aussi BREAKINGVIEWS-Apple sales warning is a Chinese joint venture
(Wilfrid Exbrayat et Claude Chendjou pour le service français, édité par Bertrand Boucey)