L'allemand Siemens a relancé mercredi la bataille pour le rachat du pôle énergie d'Alstom, en annonçant s'être allié au japonais Mitsubishi Heavy Industries en vue d'une éventuelle offre commune, soulevant des doutes sur la taille du géant énergétique européen défendu par Paris.
Siemens tente de contrer son concurrent américain General Electric, qui a déjà mis sur la table 12,35 milliards d'euros pour les activités énergétiques d'Alstom, une offre qui a les faveurs de l'équipementier français, mais pas du gouvernement.
"MHI a été invité à joindre ses forces à Siemens et nous croyons fermement pouvoir contribuer de manière importante à la solution d'un partenariat pour Alstom qui créerait de la valeur pour tous, y compris pour la France", a commenté Shunishi Miyanaga, patron de l'industriel japonais, dans un communiqué commun avec Siemens.
Selon une source au fait des discussions, MHI pourrait acquérir les activités de turbines à vapeur, utilisées dans les centrales nucléaires françaises, l'éolien et la transmission électrique d'Alstom tandis que Siemens rachèterait les turbines à gaz. L'allemand prévoirait toujours de céder ses activités ferroviaires à l'industriel français, qui veut se recentrer sur ce secteur jugé plus porteur.
A Paris, une source proche du dossier a confirmé qu'il s'agirait de construire deux entités, l'une regroupant certaines activités d'Alstom et Siemens d'un côté, et l'autre celles de MHI et le restant des activités énergétiques d'Alstom.
"Ce serait vraiment une stratégie d'alliance", comme celle défendue par le ministre de l'Economie Arnaud Montebourg, opposé à une vente pure et simple d'une branche qui pèse environ 70% des revenus d'Alstom (20,7 milliards d'euros en 2013-2014), selon elle.
Le conglomérat allemand fera savoir au plus tard le 16 juin s'il concrétisera son intérêt par une offre ferme, à l'issue d'un conseil de surveillance qui pourrait se tenir dimanche.
Un tel scénario permettrait de répondre aux inquiétudes du gouvernement français, tout en évitant les écueils concurrentiels au niveau européen, défend-on de sources proches des discussions.
- Doutes -
Partisan d'un "Airbus de l'énergie", l'exécutif s'est doté d'un droit de veto dans le dossier et exige des garanties sur l'emploi, le maintien des centres de décisions en France et surtout la sanctuarisation de la technologie d'Alstom, dont les turbines à vapeur équipent les centrales nucléaires d'EDF.
MHI entretient de bonnes relations avec les entreprises françaises, ont souligné ces sources. Le groupe fournira ainsi avec le géant Areva quatre réacteurs Atmea en Turquie, pour une centrale qui sera construite et exploitée par un consortium international dont fait partie GDF Suez.
"Une des inquiétudes de la France était d'avoir un groupe allemand dans le nucléaire, alors que l'Allemagne n'est pas pro-nucléaire."
De son côté, GE est associé au japonais Hitachi dans les réacteurs nucléaires, ce qui aurait de fait exclu la technologie tricolore, affirment-elles.
Le conglomérat américain, dont l'offre court jusqu'au 23 juin, s'est aussi lancé dans une opération de séduction de l'exécutif, depuis que ses velléités sur Alstom ont été dévoilées fin avril.
Il a promis la création de 1.000 emplois en France. Sur la lucrative signalisation ferroviaire, il s'est engagé à laisser "le contrôle" à Alstom pour renforcer son pôle transport.
"Nous attendons que les offres (...) soient formellement déposées pour les juger et émettre un avis", a réagi Bercy, où le patron de MHI a déjà été reçu à deux reprises.
François Hollande fera le point jeudi à partir de 08H00 avec Arnaud Montebourg et le Premier ministre Manuel Valls, a annoncé l'Elysée, pour qui l'Etat "n'a pas de préférence pour une offre particulière".
D'autres voix sont plus dubitatives sur le bien-fondé d'un rapprochement Siemens-MHI.
"Lorsqu'on voit le détail de l'offre, on est sur un démantèlement complet d'Alstom que redoute pourtant le gouvernement", estime Christopher Dembik, analyste chez Saxo Banque.
Pour lui, une telle offre ne résoudrait pas la question de la souveraineté des activités nucléaires, tout en éloignant la perspective de créer un géant franco-allemand de l'énergie.
Alstom dit n'avoir encore reçu qu'une seule offre, celle de GE tandis que son entourage, "sceptique et choqué", estime que la proposition de Siemens n'offrirait pas de "solution pérenne" à l'absence de taille critique du groupe.
Début mai, Siemens et MHI avaient déjà annoncé une collaboration, avec la création d'ici début 2015 d'une coentreprise fusionnant leurs activités de machines pour la métallurgie.
Selon un porte-parole de GE, le groupe du Connecticut poursuit de son côté ses "discussions constructives" avec Paris et demeure "confiant".
De source proche, on précise toutefois qu'il est "très peu probable" que l'Américain renchérisse.