PARIS (Reuters) - Le ministre de l'Economie et des Finances Bruno Le Maire a présenté lundi une série de propositions pour tirer les leçons de l'invalidation de la taxe à 3% sur les dividendes, adoptant un ton très mesuré sur cet héritage fiscal du précédent gouvernement, qu'il avait violemment critiqué fin octobre.
Un rapport de l'Inspection générale des finances (IGF) remis au ministre établit que l'invalidation de cette taxe votée fin 2012 ne résulte pas de défaillances majeures mais d'un "concours de circonstances extraordinaire" combiné à des faiblesses administratives et institutionnelles.
Rédigé par Marie-Christine Lepetit, directrice de la législation fiscale de janvier 2004 à mars 2012, ce rapport souligne que le contexte juridique au moment du vote de la taxe ne laissait pas présager les décisions d'invalidation de 2017, qui ont généré un coût (remboursements et litiges) de près de dix milliards d'euros pour les finances publiques.
Mais il relève la multiplication des alertes sur un risque "sérieux" dès 2014 et 2015, quand la question de sa compatibilité avec la jurisprudence européenne est apparue clairement.
La facture finale, qui fait suite à l'invalidation totale de cette taxe par le Conseil constitutionnel après une censure partielle de la Cour de justice de l'Union européenne, avait amené Bruno Le Maire à dénoncer "un scandale d'Etat", le porte-parole du gouvernement Christophe Castaner mettant en cause "l'amateurisme juridique" du précédent exécutif.
RESPONSABILITÉS PLURIELLES
La gauche, via l'ancien secrétaire d'Etat au Budget Christian Eckert, avait répliqué en mettant directement en cause Emmanuel Macron qui, dans ses fonctions de secrétaire général adjoint de l'Elysée en 2012, s'occupait notamment de fiscalité des entreprises.
Mais Bruno Le Maire a souligné lundi que les alertes sur le caractère incompatible de la taxe avec le droit européen ne se sont multipliées qu'à partir de 2015.
Emmanuel Macron était alors ministre de l'Economie, sans prérogatives dans le domaine fiscal et "on ne peut lui imputer aucune responsabilité de ce qui s'est passé à partir de 2015 sur cette taxe", a poursuivi le ministre devant les députés.
Prudent, le rapport de l'IGF se limite à souligner que le dossier "illustre de manière spectaculaire les difficultés d'élaboration de la norme fiscale" et pointe des responsabilités "plurielles" qui ne se limitent pas au monde politique.
"La construction trop rapide, dans l'entre-soi, instable de cette norme a conduit à un gâchis pour les entreprises et une impasse budgétaire massive" qui résulte de "responsabilités (...) plurielles, dans les sphères administratives, gouvernementales, parlementaires et chez les représentants d'intérêts", lit-on dans le document.
Les causes de ce "gâchis" se retrouvent "pour partie dans un concours de circonstances extraordinaire" sur le plan juridique, "pour partie dans la chronique ordinaire des défauts français d'élaboration de la norme, pour partie dans des défauts systémiques d’ordre politique ou institutionnel".
Bruno Le Maire a réagi à ces conclusions avec des termes moins forts par rapport à la violente polémique récente mais toujours critiques
"Il est légitime de s'interroger sur le maintien d'une taxe qui faisait l'objet d'une mise en demeure de l'Union européenne depuis février 2015", a-t-il souligné devant l'Assemblée nationale.
"Quand l'absence de responsabilité fait perdre une telle quantité d'argent public il me paraît légitime de diligenter une enquête administrative afin que cela ne se reproduise pas", a-t-il ajouté.
PROCÉDURE D'ALERTE
Le ministre s'exprimait devant les députés, qui entamaient en nouvelle lecture l'examen du dispositif fiscal - une surtaxe de l'impôt sur les sociétés pour les grands groupes - mis en place par le gouvernement pour compenser une partie des coûts de cette invalidation sans plomber les finances publiques.
En conclusion de son rapport, l'IGF suggère "de se donner davantage de temps pour préparer la loi" et de "perdre de mauvaises habitudes : perfectionnisme des administrations, activisme des parties prenantes et recours excessif à la loi par les politiques".
Bercy précise dans un communiqué que des orientations seront prises pour en "tirer toutes les leçons (...), sécuriser la loi fiscale (et) protéger le contribuable", une volonté réaffirmée par Bruno Le Maire dans l'hémicycle.
Avec ses collègues de l'Action et des comptes publics Gérald Darmanin et de la Justice Nicole Belloubet, il compte ainsi proposer au président de la République et au Premier ministre de renforcer la sécurisation de l'élaboration de la loi fiscale.
"Sauf urgence, une consultation sur les principales dispositions fiscales de la loi de finances permettrait de mieux en identifier les éventuelles faiblesses", a-t-il souligné à l'Assemblée.
Les trois ministres souhaitent aussi améliorer la transparence vis-à-vis du Parlement sur les risques de contentieux fiscaux et de remettre à plat leur suivi, en mettant en place une procédure d'alerte.
(Myriam Rivet, édité par Yann Le Guernigou)