par Emmanuel Jarry
PARIS (Reuters) - L'auteur d'attaques au fusil à pompe contre BFM TV, Libération et la Société générale (PA:SOGN) en novembre 2013, Abdelhakim Dekhar, a déclaré vendredi, au premier jour de son procès, avoir commis "l'irréparable" par désespoir.
Deux décennies après sa condamnation à quatre ans de prison dans le procès des amants "tueurs de flics" Rey-Maupin, dont il ne fut qu'un comparse, il est de retour aux assises en prévenu mais garde une grande part de son mystère.
A 52 ans, il est jugé pour tentatives d'assassinat. Il lui est reproché d'avoir menacé le 15 novembre 2013 des journalistes et un agent de sécurité de BFM TV avec un fusil à pompe, blessé grièvement trois jours plus tard un photographe dans le hall du quotidien Libération et tiré le même jour sur les locaux de la Société générale à la Défense, près de Paris.
Il avait ensuite contraint sous la menace un automobiliste à le conduire sur les Champs-Elysées et n'avait été arrêté que le 20 novembre 2013, sur dénonciation d'un ami.
Sébastien Simonian-Lemoine, qui avait hébergé Abdelhakim Dekhar, avait mené les policiers jusqu'à un parking de Bois-Colombes (Hauts-de-Seine) et à la voiture de sa soeur, dans laquelle ils l'avaient trouvé dans un semi-coma médicamenteux.
Aujourd'hui sous contrôle judiciaire et employé comme contrôleur de gestion, cet homme de 36 ans est pour sa part jugé pour recel de malfaiteur et destruction de preuves.
"SCÉNARISER MA MORT"
Abdelkhader Dekhar est longuement revenu sur son "combat politique", dont il a situé les origines dans son histoire familiale : une famille algérienne "spoliée", dispersée et "prolétarisée" par la colonisation française, dont plusieurs membres ont été tués pendant la guerre d'indépendance ; des parents "très marqués à gauche et engagés politiquement" dans la Lorraine de la crise sidérurgique.
"J'ai essayé d'échapper au déterminisme social qui nous était imposé", a-t-il expliqué à la barre.
En détention provisoire depuis novembre 2013, il a dit avoir fait un "travail d'introspection" et reconnu que les blessures infligées en 2013 au photographe César Sébastien, à Libération, était une "grave injustice".
"Il faut dissocier la personne que je suis, 35 ans de militantisme, et les faits qui me sont reprochés", a-t-il expliqué. "Ce qui fait que je suis ici n'est pas la résultante d'un combat politique mais d'un désespoir."
Il attribue ce désespoir à l'accumulation d'un divorce douloureux, du décès de son frère d'une tumeur, de l'échec d'un projet d'entreprise en Grande-Bretagne et de déboires avec la justice britannique qui ont conduit à la perte de son travail de technicien de maintenance.
"C'est ça qui m'a fait commettre l'irréparable", a-t-il ajouté. "Je n'ai voulu à aucun moment m'en prendre à la personne humaine. Je voulais m'en prendre à la structure et le but était de me suicider (...) J'ai voulu scénariser ma mort."
REY-MAUPIN
Le procureur François Molins avait fait état au lendemain de son arrestation en 2013 d'une lettre dans laquelle il dénonçait "un complot fasciste", le sort des banlieues et le capitalisme.
Il accusait aussi les médias de "participer à la manipulation des masses" et les journalistes d'être "payés pour faire avaler aux citoyens le mensonge à la petite cuiller".
Né à Algrange, en Moselle, Abdelhakim Dekhar, qui vivait depuis 15 ans en Grande-Bretagne, où il a notamment rencontré la mère de ses deux enfants, dont il est séparé depuis 2008, était revenu en France trois mois et demi avant les faits.
Mais il était en réalité connu depuis 1994 par la police et la justice. Cette année-là, il côtoyait un couple d'étudiants marginaux, Audry Maupin et Florence Rey, avec qui il fréquentait les milieux d'extrême gauche, anarchistes et alternatifs.
Il avait acheté un des fusils à pompe utilisés par les deux jeunes gens un soir d'octobre 1994 quand ils ont attaqué la pré-fourrière de Pantin pour voler des armes.
L'équipée vire au massacre : dans leur fuite, Maupin et Rey tuent trois policiers et un chauffeur de taxi, blessent trois autres policiers et deux passants. Maupin est lui-même abattu.
Florence Rey désignera Abdelhakim Dekhar comme étant le troisième homme de l'attaque de Pantin, chargé de faire le guet. Ce que le surnommé "Toumi" niera avec constance, tout en dénonçant des militants d'extrême gauche qui seront innocentés.
Il ne sera finalement condamné en septembre 1998 que pour association de malfaiteurs et sortira rapidement de prison, ayant accompli l'essentiel de sa peine en détention provisoire.
Il disait alors pour sa défense travailler pour les services secrets algériens et français, qui l'auraient chargé d'infiltrer l'extrême gauche française. Des assertions mises en 1994 sur le compte de tendances à l'affabulation et à la mythomanie mais qu'il a réitérées devant les enquêteurs en 2013 et vendredi.
"Je pensais que le danger le plus grave, c'était le fascisme islamiste", a-t-il déclaré à la barre. "J'ai effectivement donné un coup de main à certaines personnes."
Le procès doit durer une semaine. Abdelhakim Dekhar encourt la prison à perpétuité et Sébastien Lemoine trois ans.