PARIS (Reuters) - Le député socialiste Pascal Terrasse propose dans un rapport qui sera remis ce lundi au Premier ministre un vaste chantier réglementaire et législatif pour organiser en France l'économie "collaborative" et sa coexistence avec l'économie classique.
Les enjeux liés au développement de ce secteur ont été illustrés par les conflits à répétition entre chauffeurs de taxi, VTC et Uber ou encore par les inquiétudes des professionnels de l'hôtellerie face au succès d'Airbnb.
La mise en relation directe de particuliers fournisseurs de services ou de biens avec des usagers ou acheteurs potentiels est aussi ancienne que le troc, le vide-greniers ou l'auto-stop.
Mais internet et l'irruption des plates-formes spécialisées ont transformé ces échanges à petite échelle en une véritable activité économique à laquelle beaucoup de Français participent sans toujours en avoir pleinement conscience.
Cela va de la vente et de l'achat d'objets d'occasion au financement solidaire de projets ("crowdfunding") en passant par l'achat groupé d'énergie, la location ou le prêt de logements ou de matériel et la réparation de biens.
"Huit Français sur dix ont recours aujourd'hui à l'économie collaborative", explique à Reuters Pascal Terrasse, qui cite les exemples de BlaBlaCar (covoiturage) ou du "Bon coin".
Quelque 276 plates-formes internet de ce type, dont 70% sont françaises, sont actives sur le marché français.
Près d'un Français sur deux a ainsi acheté sur internet à un autre particulier en 2015, contre moins de 30% il y a dix ans.
UN SECTEUR EN DÉVELOPPEMENT
Le poids de l'économie collaborative dans le produit intérieur brut (PIB) est encore marginal bien qu'elle concerne un nombre croissant de secteurs. Selon l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), elle représentait en France 2,5 milliards d'euros de chiffre d'affaire en 2015.
Mais une autre étude citée évalue son marché mondial à 335 milliards de dollars (300 milliards d'euros) en 2025, dont 7,3 milliards d'euros en France. Un développement déjà pris en compte par les acteurs de l'économie classique.
Des assureurs sont ainsi en train de concevoir des contrats spécifiques. La MAIF a noué des partenariats dès 2007 et créé l'an dernier un fonds dédié à l'économie collaborative.
Citroën a conclu en 2012 un partenariat avec le site de location de voitures en ligne "Zylok auto" (devenu Ouicar).
En 2015 l'enseigne de bricolage Leroy Merlin est entrée au capital de Frizbiz, site qui permet à des particuliers et des professionnels de proposer leurs services.
Et La Poste est entrée dans le capital de la plate-forme Stuart, qui met en relation des coursiers et des clients.
L'économie collaborative peut améliorer les opportunités pour les publics éloignés de l'emploi, notamment via le statut d'auto-entrepreneur, et contribuer à soutenir le pouvoir d'achat des consommateurs, fait valoir Pascal Terrasse.
Mais elle pose de multiples questions susceptibles de nourrir le soupçon de concurrence déloyale, de contournement du code du travail, voire de fraude fiscale, de saper la confiance des utilisateurs et donc d'entraver son développement.
19 PISTES DE RÉFORME
Comment sécuriser les transactions et éviter les abus ? Dans quelles conditions et à partir de quand les revenus tirés de ces activités sont imposables ? Quand l'utilisateur des plates-formes devient-il un professionnel ? Comment ? Autant de problèmes auxquels s'efforce de répondre Pascal Terrasse,
Le rapport, dont Reuters a obtenu une copie, propose 19 pistes de réformes qui vont de la fiabilisation des conditions de référencement des offres et de notation des plates-formes à la création d'un "observatoire de l'économie collaborative" en passant par tout un volet fiscal.
"Il faut déterminer qui est un particulier et qui est un professionnel et il faudra une fiscalité différenciée", a dit ainsi à Reuters Pascal Terrasse.
Les particuliers qui se comportent comme des professionnels devront ainsi "remplir les obligations fiscales et sociales qui correspondent effectivement à leur pratique", dit le rapport.
Inversement, ils devront pouvoir bénéficier d'une protection sociale en tant que travailleurs indépendants, du futur compte personnel d'activité (CPA) et de la validation des acquis de l'expérience (VAE).
Pascal Terrasse est cependant opposé à la mise en place d'un régime spécifique. Il plaide au contraire pour une "égalité de traitement" entre les économies collaborative et classique pour ne pas créer de concurrence déloyale.
"Les régimes d'abattement et d'exonération doivent être étendus aux contribuables qui exercent sur les plates-formes", explique ainsi le député.
(Emmanuel Jarry, édité par Myriam Rivet)