par Emmanuel Jarry
PARIS (Reuters) - La Cour des comptes recommande d'intégrer les régimes de retraites complémentaires du secteur privé, gérés par les partenaires sociaux, aux lois de financement de la Sécurité sociale pour assurer une meilleure coordination avec l'Etat.
Dans un rapport alarmant sur l'Arrco et l'Agirc publié jeudi mais déjà largement connu, elle souligne que des décisions gouvernementales prises sans concertation avec les syndicats et le patronat ont contribué à dégrader leurs comptes.
Lors de la présentation de ce rapport, le premier président de la Cour, Didier Migaud, a pris soin de préciser qu'il ne s'agissait aucunement de placer sous tutelle des organismes qui constituent un pilier du système de retraites français.
Cette évolution se ferait "selon des modalités spécifiques préservant la responsabilité des partenaires sociaux", a-t-il dit lors d'une conférence de presse.
Des syndicats et des organisations patronales s'opposent à un tel élargissement des lois de financement de la protection sociale, dans lequel ils pressentent la fin du pilotage paritaire de régimes créés en 1947 (Agirc) et 1961 (Arrco) et obligatoires depuis 1972.
L'Arrco concerne aujourd'hui la quasi totalité des salariés du secteur privé. L'Agirc est réservée aux cadres et assimilés.
Plus de 18 millions d'actifs cotisent à ces deux régimes, qui versent à 12 millions de retraités plus de 70 milliards d'euros par an et leur assurent ainsi un complément de revenu pouvant représenter entre 25% et 50% de leur pension globale, voire jusqu'aux deux tiers pour des cadres supérieurs.
DES DÉFICITS CROISSANTS
Bien que gérées de façon autonome par les principales organisations syndicales et patronales, l'Agirc et l'Arrco font pleinement partie des administrations publiques au sens de la comptabilité nationale et de la législation européenne.
Leur situation financière est intégrée aux engagements pris par la France dans les programmes de stabilité transmis chaque année à la Commission européenne, a rappelé Didier Migaud.
Leur équilibre est donc "un facteur majeur à la fois pour la continuité de notre modèle social et pour la crédibilité de nos engagements européens", a-t-il ajouté.
Or, après avoir accumulé plus de 60 milliards d'euros de réserves entre 1998 et 2008 pendant que le régime de base de la Sécurité sociale accumulait huit milliards de déficits, l'Agirc et l'Arrco sont à leur tour entrées dans le rouge.
Leur déficit a atteint 5,3 milliards en 2014 et pourrait, sans mesure corrective, approcher 20 milliards vers 2035. A ce rythme, les réserves de l'Arrco seraient épuisées en 2025 et celles de l'Agirc dès 2018.
La Cour impute cette dégradation à la diminution du ratio cotisants-retraités, à la crise économique, qui a pesé sur la masse salariale sur laquelle sont assises les cotisations, et à des coûts de gestions élevés (1,8 milliards d'euros en 2013).
Mais elle cite aussi l'impact de décisions du gouvernement.
La possibilité pour les salariés ayant commencé à travailler avant 20 ans de prendre une retraite à taux plein à 60 ans s'ils ont assez cotisé devrait ainsi dégrader les comptes de l'Agirc et l'Arrco de 1,2 milliard d'euros par an entre 2020 et 2030.
CONCERTATION SYSTÉMATIQUE
Les dispositions de la réforme des retraites de base de janvier 2014 pour les femmes, les jeunes, les carrières heurtées et les salariés exposés à des conditions de travail pénibles entraîneraient une dégradation de 1,1 milliard à l'horizon 2030.
L'allongement progressif à 43 ans de la durée de cotisation prévu par cette réforme n'aura en revanche un impact positif sur l'Arrco et l'Agirc qu'au-delà de 2020 et n'améliorera leur solde annuel de 1,6 milliards d'euros qu'à l'horizon 2030, selon les calculs des gestionnaires des régimes complémentaires.
Le programme de stabilité 2014-2017 prévoit par ailleurs un effort d'économies de ces régimes de deux milliards d'euros à l'horizon 2017, sans qu'il y ait eu concertation préalable avec leurs gestionnaires, souligne encore la Cour des comptes.
D'autres mesures, comme la fixation du plafond de la Sécurité sociale et des taux de cotisations du régime de base, affectent aussi les ressources des régimes complémentaires et limitent leurs marges de manoeuvre.
Autant de raisons qui militent, selon la Cour, en faveur d'une concertation systématique entre l'Etat et les partenaires sociaux. L'examen et le vote chaque année par le Parlement d'une loi de financement élargie à tous les pans de la protection sociale en serait notamment l'occasion.
(Edité par Yves Clarisse)