par Chine Labbé
PARIS (Reuters) - Bernard Cazeneuve a lancé lundi des consultations avec des représentants de la communauté musulmane, de la société civile, et des parlementaires, pour donner un nouvel élan à la création d'un "islam de France".
A l'issue d'un été endeuillé par des attentats djihadistes et marqué par une polémique sur le "burkini", le ministre de l'Intérieur a appelé de ses voeux une "relation forte et apaisée" avec les musulmans de France.
"Cette nouvelle étape présente aujourd'hui un caractère d'urgence et de nécessité particulier", a-t-il dit lors d'un point presse à son ministère, place Beauvau. "La France est en guerre contre le terrorisme, elle est en guerre contre un ennemi qui cherche à la diviser."
"Nous devons rappeler que la République a vocation à prendre dans ses bras tous ses enfants, quelles que soient leurs origines et leur confession", a poursuivi Bernard Cazeneuve, tout en soulignant que l'islam de France devait "amplifier" son engagement pour la République.
Pour y parvenir, le ministère de l'Intérieur va créer une Fondation pour l'islam de France, présidée dans un premier temps par l'ancien ministre de l'Intérieur Jean-Pierre Chevènement, qui devrait voir le jour d'ici novembre.
Elle ne pourra pas financer le culte mais aura vocation à soutenir des projets culturels, éducatifs et sociaux, et pourra contribuer à la formation profane des imams.
Trois représentants de l'Etat (Intérieur, Culture et Education) siègeront à son conseil d'administration, ainsi que le président du Conseil français du culte musulman (CFCM) et des personnalités qualifiées, dont l'écrivain Tahar Ben Jelloun.
FINANCEMENT FRANÇAIS
A côté de la fondation, une association cultuelle dirigée par des musulmans sera chargée du financement des mosquées et de la formation théologique des imams.
Le gouvernement lancera par ailleurs une mission chargée de proposer la création de nouveaux diplômes d'islamologie, pour aller au-delà des formations déjà proposées dans une quinzaine de grandes universités à de futurs imams et aumôniers.
L'idée d'une fondation pour l'islam n'est pas nouvelle. En 2005, Dominique de Villepin, alors ministre de l'Intérieur, avait créé la Fondation des œuvres pour l'islam de France, qui était cependant restée une coquille vide.
Cette fois, le CFCM, qui salue une "étape historique", dit "croire fermement" à sa réussite.
"La première fondation des oeuvres de l'islam (...) est arrivée à peine deux ans après la création du CFCM. Les composantes de l'islam de France (...) apprenaient à peine à se connaître, à travailler ensemble", a expliqué à la presse son président Anouar Kbibech. "Plus de dix ans après, il y a une maturité qui s'est opérée."
La nouvelle fondation sera financée en partie par l'Etat, à hauteur d'un million d'euros, somme à laquelle s'ajoutera un reliquat du budget de l'ancienne, d'environ 950.000 euros.
Elle devrait aussi recevoir de l'argent d'entreprises et de particuliers et fonctionner, à terme, avec un budget de cinq à six millions d'euros, précise-t-on place Beauvau.
Quant à l'association cultuelle, elle pourrait être financée par des dons des fidèles et une contribution volontaire des acteurs de la filière halal, à négocier avec les industriels de l'abattage rituel.
UNE NOMINATION INITIALEMENT CONTESTÉE
La fondation comme l'association s'appuieront sur un financement exclusivement français, insiste-t-on au ministère de l'Intérieur.
Les mosquées pourront toutefois continuer à recevoir de l'argent de l'étranger, souligne-t-on au CFCM. "Ce qui est en train de se mettre en place, c'est un mécanisme pour relever les fonds et les rationaliser", explique Anouar Kbibech.
Bernard Cazeneuve fait en effet le pari que ce "modèle vertueux de financement" s'imposera avec le temps, tarissant, à terme, les financements étrangers.
Actuellement, environ 15% du financement du culte musulman provient de l'étranger, selon le ministère de l'Intérieur.
L'annonce de la nomination de Jean-Pierre Chevènement à la tête de la Fondation avait suscité de nombreuses réserves dans les milieux politiques et chez certains représentants du culte, qui avaient jugé "maladroits" ses propos appelant les musulmans à se faire "discrets".
Le choix de l'ancien ministre n'est plus contesté, assure cependant aujourd'hui le président du CFCM.
"Les événements que nous avons à affronter sont d'une gravité telle que chacun doit s'efforcer à concourir au succès de l'islam de France, qui s'autonomisera au niveau de ses financements et de sa propre formation", a déclaré lundi Jean-Pierre Chevènement.
(Avec Myriam Rivet, édité par Emmanuel Jarry)