par Daniel Ramos, Gram Slattery et Monica Machicao
LA PAZ (Reuters) - Pillages, affrontements, barricades: la Bolivie a plongé dans le chaos lundi dans les heures qui ont suivi la démission du président Evo Morales, lequel a annoncé dans la soirée être en route pour le Mexique, alors que l'armée bolivienne est venue épauler la police pour faire face aux actes de "vandalisme".
Des milliers de partisans du dirigeant socialiste ont quitté El Alto, ville voisine de la capitale La Paz, pour gagner le siège de l'Assemblée, ont dit des sources policières et législatives, laissant craindre des affrontements avec les forces de l'ordre et les partisans de l'opposition.
Evo Morales, qui a répété lundi être victime d'un complot fomenté selon lui par Carlos Mesa, son principal rival pour l'élection présidentielle du 20 octobre, a dit dans la soirée qu'il était en route pour le Mexique où le gouvernement lui a accordé l'asile politique.
"Cela fait mal de quitter le pays pour des motifs politiques, mais je vais rester en contact", a écrit le président démissionnaire sur Twitter (NYSE:TWTR). "Je reviendrai bientôt avec plus de force et d'énergie", a-t-il ajouté.
Le ministre mexicain des Affaires étrangères, Marcelo Ebrard, a indiqué que Mexico avait affrété un avion afin de garantir un voyage "sûr" à Morales et que celui-ci se trouvait à bord de l'appareil.
La démission de Morales est survenue après plusieurs semaines de manifestations violentes pour contester le résultat de l'élection présidentielle. L'opposition a dénoncé une fraude du président sortant, dont la commission électorale a annoncé la réélection à l'issue du premier tour du scrutin le 20 octobre.
Premier président indigène de l'histoire du pays, Morales est vu par de nombreux Boliviens comme l'homme qui a apporté stabilité et croissance économique, mais ses détracteurs dénoncent un autocrate ayant défié les résultats du référendum de 2016 sur la limitation de la fonction présidentielle.
Son gouvernement s'est effondré dimanche quand l'Organisation des Etats américains (OEA) a signalé, dans un rapport rédigé sur la base d'un audit du scrutin présidentiel, de graves irrégularités dans le processus électoral.
"CRAINTE ET PANIQUE"
Morales, arrivé à la présidence en 2006, a été abandonné par des alliés au sein du parti au pouvoir et par l'armée. Il a annoncé dans la foulée dimanche son départ, qu'il a confirmé lundi dans une lettre à l'assemblée législative.
Sa démission, ainsi que celle de son vice-président, crée une vacance du pouvoir dans l'attente des résultats d'un nouveau scrutin encore hypothétique.
Un parlementaire a déclaré à Reuters que les élus, qui discutaient lundi à l'Assemblée de la possible mise en place d'un gouvernement intérimaire, avaient dû être évacués de l'enceinte.
Le commandant des forces armées boliviennes a annoncé avoir ordonné aux troupes de mener des opérations conjointes avec la police contre les "actes de vandalisme". S'exprimant devant des journalistes à La Paz, Williams Kaliman a assuré que les forces de sécurité feraient un usage "proportionné" de la force.
Des policiers membres de l'unité chargée de protéger l'Assemblée ont dit à Reuters qu'ils s'attendaient à des affrontements violents avec les pro-Morales. L'un d'entre eux a indiqué que les officiers feraient usage de balles réelles.
"C'est très inquiétant. Il y avait beaucoup de crainte et de panique la nuit dernière. Ce soir les gens ont autant peur qu'hier, si ce n'est plus", a déclaré un diplomate occidental présent à La Paz. La plupart des bâtiments diplomatiques ont été fermés, a-t-il dit, le personnel travaillant à domicile.
Des entreprises ont été attaquées, des bâtiments ont été incendiés et la plupart des écoles et commerces sont restés fermés lundi. Les transports publics étaient à l'arrêt et les routes bloquées.
Aux termes de la loi, le président du Sénat est chargé d'assurer l'intérim en cas d'absence de président et de vice-président. Mais la présidente du Sénat, Adriana Salvatierra, a elle aussi quitté ses fonctions dimanche soir.
"FAIRE LE NÉCESSAIRE"
La deuxième vice-présidente du Sénat Jeanine Añez a annoncé qu'elle était disposée à assumer la présidence intérimaire, "seulement pour faire le nécessaire afin de convoquer des élections transparentes".
Elle a déclaré que le Sénat se réunirait mardi et exhorté les membres du Mouvement pour le socialisme (MAS), le parti de Morales, à assister à la séance pour tenter de trouver une solution constitutionnelle à la crise.
La démission de Morales doit encore être approuvée par l'Assemblée législative, convoquée mardi par les deux chambres du Congrès, ce qui pourrait être repoussé du fait de la situation sécuritaire.
Plusieurs alliés du dirigeant socialiste dans la région, parmi lesquels le président élu argentin Alberto Fernandez, ont dénoncé un coup d'Etat.
La Russie a apporté son soutien à Evo Morales, accusant l'opposition de violences.
Au Venezuela, des opposants du président Nicolas Maduro ont célébré la démission de Morales, qualifié de "dictateur", espérant que Maduro serait le prochain sur la liste.
De son côté, Donald Trump a estimé que la démission de Morales constituait un "moment important pour la démocratie" et adressait un "signal fort aux régimes illégitimes du Venezuela et du Nicaragua".
Sous la présidence de Morales, la Bolivie a affiché l'un des plus forts taux de croissance d'Amérique latine et son taux de pauvreté a été réduit de moitié. Mais sa volonté de rester au pouvoir en briguant un quatrième mandat lui a fait perdre une partie de ses soutiens, y compris au sein de la communauté indigène.
(avec Dave Graham à Mexico, Matt Spetalnick à Washington, Tom Balmforth à Moscou; Jean-Stéphane Brosse et Jean Terzian pour le service français)