par John Irish et Marine Pennetier
PARIS (Reuters) - En faisant venir Saad Hariri à Paris et en s'imposant comme médiateur, Emmanuel Macron a remporté une victoire symbolique qu'il devra concrétiser s'il souhaite repositionner la France dans un Proche-Orient délaissé par les Etats-Unis, estiment analystes et diplomates.
L'annonce surprise de la démission du Premier ministre libanais le 4 novembre a plongé le Liban dans une nouvelle crise politique et cristallisé les tensions entre Beyrouth et l'Arabie saoudite, accusée par le Liban de retenir "contre son gré" Saad Hariri à Ryad.
La confirmation jeudi soir de la venue du chef du gouvernement à Paris, à l'invitation "amicale" d'Emmanuel Macron, a permis - du moins temporairement - de faire baisser la tension et d'ouvrir la perspective d'une sortie de crise en permettant aux différentes parties de ne pas perdre la face.
Emmanuel Macron est parvenu à "offrir un peu de répit à Hariri sans provoquer un affrontement avec l'Arabie saoudite tout en insistant dans le même temps sur le fait que la politique régionale de l'Iran est inacceptable", note un diplomate du Moyen-Orient basé à Paris. "Ça place la France au coeur mais ce n'est pas pour autant que la crise est résolue".
La diplomatie française a remporté cette semaine "une victoire symbolique", abonde Stéphane Malsagne, historien spécialiste du Liban et enseignant à Sciences Po Paris, qui rappelle que le président Michel Aoun "avait menacé d'en référer à l'Onu en cas de persistance de la crise".
"L'enjeu maintenant c'est de savoir quelle sera l'efficacité de la médiation française", ajoute-t-il. "La vraie question c'est de savoir ce qu'il va se passer au retour de Saad Hariri au Liban. A l'heure actuelle, on n'a aucune visibilité".
TROISIÈME ACTE
Après sa visite surprise à Ryad la semaine dernière et son invitation "amicale" cette semaine à Saad Hariri et sa famille, Emmanuel Macron va entamer samedi midi le troisième acte de son action diplomatique.
Le chef de l'Etat recevra à l'Elysée le Premier ministre démissionnaire pour "une discussion en tête à tête" puis "un déjeuner amical et familial" avant que Saad Hariri ne rejoigne dans les prochains jours - ou semaines - le Liban.
L'objectif, souligne-t-on à Paris, n'est pas de chercher un compromis mais de créer les conditions d'une désescalade dans la région afin d'éviter une prolifération des crises.
"Le chef de l'Etat prend un risque", estime un diplomate européen. "Il est en première ligne et c'est un peu son moment de vérité. La crise libanaise sera son premier vrai test."
Certes, Emmanuel Macron a multiplié les offensives diplomatiques depuis son accession à l'Elysée en mai - sur le climat, sur la Libye, sur le programme nucléaire et balistique iranien - mais le Liban pourrait lui permettre de s'imposer durablement comme un acteur clef au Proche-Orient.
"Etant donné l'absence de médiation de l'Occident, notamment de la part des Etats-Unis, il y a vraiment un besoin criant d'un rôle de ce type dans une région littéralement en flammes", estime Maha Yahya, directrice du centre Moyen-Orient de Carnegie à Beyrouth.
"Ce que recherche Emmanuel Macron, c'est de repositionner la diplomatie française au Moyen-Orient, il ne l'a pas caché et le Liban est un terrain privilégié pour exercer ce repositionnement", estime de son côté Stéphane Malsagne.
"CRÉDIBILITÉ EN JEU"
La tâche s'annonce toutefois délicate pour le chef de l'Etat, appelé à ménager toutes les sensibilités dans une région minée par la rivalité entre l'Arabie saoudite sunnite et l'Iran chiite qui se livrent à une lutte d'influence dans des pays tiers.
L'Iran a durci le ton à l'égard de la France, accusant Paris d'alimenter les tensions au Moyen-Orient en raison de ses positions "partiales" envers Téhéran.
Dans le collimateur de la République islamique, les propos tenus par le chef de la diplomatie française Jean-Yves Le Drian à Ryad, qui s'est inquiété d'une "tentation hégémonique" de l'Iran et de son programme balistique.
A Göteborg vendredi, Emmanuel Macron a appelé "tout le monde" à "garder son calme" et a rappelé la ligne diplomatique française consistant à "parler à tout le monde".
"On dit qu'on parle à tout le monde, c'est très noble, mais si Jean-Yves Le Drian (dont la visite prévue en novembre à Téhéran a été reportée-NDLR) et Emmanuel Macron ne vont pas en Iran, ce n'est pas tenable, c'est notre crédibilité qui est en jeu", prévient un diplomate français.
(Edité par Sophie Louet)