par Gregory Blachier et Chine Labbé
PARIS (Reuters) - Attaqué de toutes parts en Europe et dans le monde, le spécialiste des voitures de tourisme avec chauffeur (VTC) Uber, poursuivi à Paris pour "concurrence déloyale", mène une stratégie offensive en espérant faire évoluer le droit français.
Les assauts du groupe américain sur le marché sont loin de faire l'unanimité, y compris chez certains de ses concurrents.
Soutenues par plusieurs associations de taxis, trois sociétés de VTC -- LeCab et deux filiales de Transdev, GreenTomatoCars et Transdev Shuttle -- l'ont ainsi assigné devant le tribunal de commerce de Paris, demandant l'interdiction d'UberPOP, offre payante de transport entre particuliers.
Une décision du tribunal, saisi en référé, est attendue vendredi.
Ce service, qui recueillait près de 55.000 soutiens sur une pétition en ligne mercredi, a valu à la filiale française du groupe d'être condamnée en octobre dernier à une amende de 100.000 euros pour "pratiques commerciales trompeuses", devant le tribunal correctionnel de Paris.
La société, qui dit vouloir briser des monopoles, a maintenu UberPOP dans l'attente de l'examen de son appel. Vendredi, dans le cadre de la procédure en référé, elle espère obtenir du tribunal de commerce de Paris qu'il juge recevable tout ou partie des quatre questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) posées et du point de droit européen soulevé.
Quelle que soit l'issue, "ce n'est pas sur une procédure que se joue le futur d'Uber ni l'évolution du secteur", prévient Thibaud Simphal, directeur général d'Uber France.
Malgré de nombreuses interdictions qui heurtent son développement international -- tout le service a été interdit en Espagne ainsi qu'UberPOP aux Pays-Bas cette semaine, après des sanctions à Berlin et Hambourg, et des problèmes de réglementation l'empêchent de s'implanter dans certaines villes des Etats-Unis comme Las Vegas ou Miami -- Uber entend bousculer le secteur, et la législation.
"On ne fait pas bouger les lignes en s'asseyant sur le bord de la route", dit Thibaud Simphal. "On peut attendre, attendre, mais ça donne des pays un peu sclérosés."
"Le droit, c'est quelque chose qui suit la société", souligne encore le patron de la branche française, juriste de formation, qui appelle à ne pas réduire les procédures en cours à un débat sur ce qui est légal et ce qui ne l'est pas.
PAIX AVEC LES TAXIS
Mais cette position n'est pas du goût de certains de ses concurrents, qui lui reprochent de ne pas respecter la loi Thévenoud adoptée à l'automne après une grogne des taxis, et qui a contraint les VTC à limiter leur activité.
"Cette loi n'est pas bonne", leur répond sans détour Thibaud Simphal, qui juge que ce texte, "voté en urgence cet été", s'est fait au détriment des consommateurs et au mépris de la réglementation européenne, sans satisfaire personne.
La première des quatre QPC déposées par la société devant le tribunal de commerce de Paris remet en question l'interdiction, pour une personne qui n'est pas enregistrée comme chauffeur VTC, de faire une course ponctuelle, le principe même d'UberPOP.
Les autres visent l'interdiction de la géolocalisation, l'interdiction de la tarification horokilométrique -- qui contraint les VTC à choisir un tarif au forfait ou selon la durée -- et l'obligation de retour au garage.
Les défenseurs d'Uber considèrent qu'il y a rupture de l'égalité devant la loi et atteinte à la liberté d'entreprendre.
"Si aujourd'hui la loi Thévenoud existe, c'est parce qu'on est arrivés à un compromis", estime au contraire Benjamin Cardoso, président de la société de LeCab, qui dit voir dans le service UberPOP une façon de contourner l'obligation de formation des chauffeurs de VTC, "sous couvert d'innovation".
A ses yeux, avec de telles pratiques, Uber risque de réveiller le conflit entre les VTC et les taxis. "Il en va de la paix avec ces professions", dit-il.
Le débat juridique est loin d'être clos. Considérant que l'Etat a violé une directive européenne de 1998 quand il a élaboré la loi Thévenoud, Uber a saisi la Commission européenne en espérant que le droit européen l'aide à asseoir sa stratégie s'il n'obtenait pas satisfaction devant la justice française.
La dite directive prévoit que toute modification des règles dans le domaine de la "société de l'information" --donc des services en ligne ou mobiles--, doit être notifiée au préalable à la Commission européenne, ce que l'Etat n'aurait pas fait.
(Edité par Yves Clarisse)