par Ayla Jean Yackley et Alexander Dziadosz
SURUC Turquie/BEYROUTH (Reuters) - Le parlement turc a autorisé jeudi le gouvernement à intervenir militairement contre l'Etat islamique (EI), alors que les djihadistes sont aux portes d'une ville kurde de Syrie située à la frontière turque et que les réfugiés kurdes affluent par milliers.
Le texte, approuvé par les trois quarts des députés, autorise le gouvernement à agir en Irak et en Syrie contre la menace "de tous les groupes terroristes".
Le mandat accordé au gouvernement autorise aussi les troupes étrangères à lancer des opérations à partir du sol turc. La Turquie est membre de l'Otan et les Etats-Unis ont une base dans la ville d'Incirlik dans le sud du pays.
"L'influence croissante des groupes radicaux en Syrie menace la sécurité nationale turque. Le but de ce mandat est de minimiser autant que possible l'impact des affrontements à nos frontières", a déclaré le ministre de la Défense Ismet Yilmaz au parlement.
Après avoir pris le contrôle de centaines de villages autour de la ville syrienne de Kobani ces dernières semaines, les combattants de l'Etat islamique n'étaient jeudi qu'à quelques kilomètres de cette ville kurde, située à la frontière turco-syrienne.
Les bombardements de l'EI sur le sud de Kobani se sont poursuivis dans la nuit. Des dizaines de missiles anti-char clignotaient dans le ciel alors que la nuit tombait. A Kobani, l'électricité a été coupée après les bombardements de l'EI, a dit un combattant kurde à Reuters.
ESCLAVES
En Irak voisin, les hommes de l'EI sont accusés, dans un rapport publié jeudi par les Nations unies, d'exécutions de masses et d'enlèvements de femmes et de jeunes filles pour en faire des esclaves sexuelles.
Jeudi, l'EI a pris le quasi-contrôle de Hit, une ville de la province d'Anbar, dans l'Ouest irakien. L'assaut a été lancé à l'aide de trois voitures piégées dans son entrée est.
L'avancée des djihadistes sur le terrain suscite des interrogations sur l'efficacité des frappes aériennes menées par les Etats-Unis et leurs alliés.
Les affrontements se poursuivent à Kobani (Aïn al Arab en arabe) à deux ou trois kilomètres de la ville, contre laquelle l'EI a lancé son attaque voici deux semaines environ, ce qui a provoqué l'exode de plus de 150.000 personnes vers la Turquie.
L'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH), une ONG basée à Londres qui a un réseau d'informateurs en Syrie, dit craindre que l'EI n'entre "d'un moment à l'autre" dans Kobani.
L'OSDH dit avoir confirmation de la mort de 16 djihadistes de l'EI et de sept combattants kurdes, mais souligne que le bilan véritable est sans doute plus élevé.
Une vingtaine d'explosions, vraisemblablement dues à des tirs de missiles de la coalition, ont retenti dans la nuit de mercredi à jeudi dans le secteur du barrage de Tichrine et de Manbidj, à une cinquantaine de km au sud de Kobani, avait auparavant indiqué l'OSDH.
Selon Asya Abdullah, représentante du Parti de l'union démocratique (PYD), principale formation kurde de Syrie, les assaillants ont progressé sur tous les fronts autour de la ville.
"S'ils veulent éviter un massacre, (les membres de la coalition) doivent agir plus largement", a-t-elle déclaré à Reuters, jointe par téléphone à Kobani.
DESTITUTION
Le vote du parlement turc autorisant le gouvernement turc à passer à l'action représente l'extension d'un mandant qui, à l'origine, autorisait Ankara à frapper les militants kurdes dans le nord de l'Irak et à se défendre contre une éventuelle menace provenant des forces du président syrien Bachar al Assad.
Mais le feu vert obtenu jeudi n'entraînera pas forcément une action immédiate. Le président turc Recep Tayyip Erdogan a souligné que les frappes aériennes ne seront à son avis pas suffisantes pour supprimer la menace djihadiste. Il a clairement dit qu'il souhaitait aussi la destitution de Bachar al Assad, ce qui ne fait pas partie des objectifs militaires de la coalition.
En agissant en Syrie et en Irak, Ankara craint de renforcer les combattants kurdes alliés au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), qui, après près de 30 ans de combats contre le pouvoir turc, a entamé un processus de paix difficile.
Les combattants kurdes des Unités de protection populaire (YPG), branche armée du PYD, affilié au PKK, combattent l'EI dans le nord de la Syrie.
"Si cette tentative de massacre parvient à ses fins, cela signera l'arrêt du processus (de paix)", a prévenu Abdullah Öcalan, chef de file du PKK, de sa prison.
"Je demande à tous ceux, en Turquie, qui ne veulent pas que le processus de paix et la démocratie échouent, d'assumer leurs responsabilités à Kobani", a-t-il ajouté.
L'YPG a annoncé qu'un citoyen américain, Jordan Matson, avait rejoint les forces kurdes dans leur combat en Syrie.
Pour Soner Cagaptay, qui travaille sur la Turquie pour le Washington Institute, l'EI "est la plus grosse menace pour l'existence de la Turquie depuis 1946 quand Joseph Staline a exigé qu'Ankara cède le contrôle du Bosphore et d'autres territoires à l'Union soviétique".
(Avec Orhan Coskun et Tulay Karadeniz à Anbkara, Daren Butler à Istanbul; Danielle Rouquié pour le service français)