par Chine Labbé
PARIS (Reuters) - La directrice générale du Fonds monétaire international (FMI) Christine Lagarde s'est défendue lundi de toute négligence dans sa gestion de l'arbitrage Tapie et s'est dite "profondément choquée" par "l'agressivité" des termes de son renvoi devant la Cour de justice de la République (CJR).
Christine Lagarde était ministre de l'Economie et des Finances en 2008, quand l'arbitrage controversé a été prononcé.
Elle est poursuivie pour négligence d'une personne dépositaire de l'autorité publique ayant mené au détournement par un tiers de fonds publics.
Ses avocats avaient demandé que le procès soit reporté, le temps que l'enquête principale sur cet arbitrage aboutisse, mais la CJR, seule compétente pour juger d'anciens ministres, a décidé de poursuivre les débats pour le moment.
"Je souhaite enfin vous démontrer que je ne suis en rien coupable de négligence, mais que j'ai agi en conscience, en confiance, avec pour seul objectif l'intérêt général", a déclaré Christine Lagarde lundi à la barre.
"Ai-je été abusée ? Si oui par qui? Nous le saurons peut-être un jour", a-t-elle ajouté en référence a l'enquête dans laquelle six personnes ont été mises en examen pour escroquerie en bande organisée. "Ai-je été négligente ? Non, et je m'attacherai, allégation par allégation, à vous en convaincre", a-t-elle poursuivi, rappelant avoir elle-même demandé au conseil d'administration du FMI de lever son immunité.
L'ancienne ministre de Nicolas Sarkozy s'est par ailleurs dite "profondément choquée par l'agressivité du ton" employé a son égard dans l'arrêt de la commission d'instruction de la CJR qui a décidé de son renvoi, et qui a selon elle inventé "un ministère utopique, hors vent, hors sol, hors crise".
"INCURIE ET PRÉCIPITATION"
La commission d'instruction de la CJR lui reproche "une décision d'entrer en arbitrage mal préparée, mal encadrée, malvenue" et "allant à l'encontre de l'avis répété" de l'Agence des participations de l'Etat (APE).
Elle lui fait également grief d'avoir renoncé de manière "précipitée" à exercer un recours contre la sentence arbitrale, qui a accordé 403 millions d'euros en 2008 à l'homme d'affaires Bernard Tapie pour solder son litige avec le Crédit lyonnais sur la revente d'Adidas (DE:ADSGN).
"Le comportement de Madame Lagarde ne procède pas seulement d'une incurie et d'une précipitation critiquables, mais aussi d'une conjonction de fautes qui, par leur nature, leur nombre et leur gravité, dépassent le niveau d'une simple négligence", estime ainsi la commission d'instruction de la CJR.
A sa décharge, l'accusation a toutefois noté que certains événements ayant mené à l'arbitrage avaient précédé sa nomination à Bercy, en juin 2007, et qu'elle n'entretenait pas de relations personnelles avec les acteurs du dossier.
Douze témoins doivent être entendus durant ce procès hors norme, le cinquième seulement de l'Histoire de la CJR : huit cités par le parquet général, et quatre par la défense.
"Tous ces témoins ont fait savoir qu'ils seraient présents", a indiqué lundi la présidente, Martine Ract Madoux. Seul Jean-François Rocchi, ex-président du Consortium de réalisation (CDR), organisme chargé de liquider les actifs du Crédit Lyonnais, ne s'est pas encore manifesté, a-t-elle précisé.
RICHARD MIS EN EXAMEN
Un doute subsistait quant aux témoignages de plusieurs personnes mises en examen dans le cadre de l'enquête toujours en cours au pénal dans le volet non ministériel de l'affaire Tapie, parmi lesquelles l'actuel PDG d'Orange Stéphane Richard, ex-directeur de cabinet de Christine Lagarde.
Ces témoins auront le droit de se taire, a souligné la présidente.
Durant les sept jours d'audience, les quinze juges de la CJR (six sénateurs, six députés et trois magistrats de la Cour de cassation) devront disséquer notes et instructions reçues et rédigées par la ministre et son cabinet. Notamment toute une série de notes de l'APE hostiles à l'arbitrage.
Devant les juges, Christine Lagarde, qui dit avoir suivi les préconisations de l'APE sur les modalités de mise en oeuvre de l'arbitrage, a reconnu avoir découvert certaines notes a posteriori. "Je ne lis pas toutes les notes, et le cabinet a précisément pour fonction de filtrer", a-t-elle souligné lundi.
Stéphane Richard, mis en examen pour escroquerie en bande organisée et complicité de détournement de fonds publics, est soupçonné d'avoir "dissimulé" à sa ministre de tutelle des éléments "essentiels" du dossier, ce qu'il conteste. Il sera entendu mercredi matin.
Christine Lagarde encourt jusqu'à un an de prison et 15.000 euros d'amende. Le conseil d'administration du FMI lui a renouvelé jeudi sa confiance.
(Edité par Yves Clarisse)