par Catherine Lagrange
LYON (Reuters) - Condamné à six mois de prison avec sursis le 7 mars dernier pour "non-dénonciation d'agressions sexuelles sur mineurs", l’archevêque de Lyon Philippe Barbarin a tenté, avec difficulté jeudi, de convaincre la cour d’appel de Lyon de son innocence.
Interrogé après une longue et minutieuse reconstitution chronologique de la gestion par l’Eglise de l’affaire Preynat, du nom de ce prêtre du diocèse qui a reconnu avoir abusé de dizaines de jeunes scouts, le cardinal Barbarin a lancé en préambule : "Je n’arrive pas bien à voir en quoi je suis coupable et quels sont les faits que l’on me reproche."
Le père Bernard Preynat a été destitué par l'Eglise en juillet dernier et doit être jugé début 2020.
L'affaire a provoqué un véritable séisme au sein de l’Eglise catholique, confrontée à plusieurs affaires de pédophilie.
Le cardinal Barbarin, qui s'est mis en retrait de ses fonctions depuis sa condamnation, comparaissait seul jeudi, ses six co-prévenus en première instance, cadres de l’Eglise à divers niveaux, ayant été relaxés.
Le président Eric Seguy a longuement retracé l’historique du "dossier" Preynat, dont le cas était remonté jusqu'à Rome fin 2014. Il a également détaillé l’action des nombreuses victimes qui ont déclenché les poursuites judiciaires.
Philippe Barbarin a assuré n’avoir été informé des agissements du père Preynat qu’à partir de 2010. A cette date, Alexandre Heze, le premier plaignant, lui détaille les violences qu'il a subies pendant ses années de scout à Sainte-Foy-lès-Lyon.
"Je n’ai pas pensé que j’avais à aller devant la justice et je crois que lui non plus", a soutenu le cardinal Barbarin devant la cour d'appel. "Les faits, pour lui, étaient prescrits et empêchaient une action devant la justice", a-t-il ajouté.
"JE N'AI PAS EU LE COURAGE À CE MOMENT-LÀ"
L'archevêque dit avoir encouragé son interlocuteur à rechercher d'autres victimes afin de permettre une procédure judiciaire sur des faits non prescrits.
Mais la date de 2010 avancée par le responsable du diocèse de Lyon pose problème aux parties civiles. Une lettre de parents d’une jeune victime datée de 1991 figurait depuis cette époque dans le dossier Preynat, archivée à l’archevêché, sans compter les rumeurs qui circulaient à son sujet et que le cardinal assure ne pas avoir cherché à éclaircir.
Convoqué par le cardinal après les dénonciations d’Alexandre Heze, le père Preynat aurait assuré à son supérieur qu'il était rentré dans le rang depuis 1991. "Je n’ai pas eu le courage, à ce moment-là, de lui demander de nommer les faits", a reconnu le cardinal, tout en confiant l’avoir cru sur parole avant de le renommer dans une autre paroisse.
Le primat des Gaules a été mis en difficulté encore par le président de la cour qui lui a demandé s’il avait été confronté à d’autres cas similaires.
En 2007, Philippe Barbarin n’a pas hésité à sanctionner un autre prêtre à l’attitude déviante. "Je l’ai aussitôt suspendu. Il n’a même pas pu célébrer la messe le dimanche suivant, j’ai réagi dans la seconde même." Bernard Preynat lui, n’a été mis à l’écart qu’en 2015.
Les victimes de Bernard Preynat n’ont pas ménagé le représentant de l’Eglise, à l’image de François Devaux, le président de l’association La Parole Libérée qui a révélé l’affaire.
"Barbarin n’est pas du tout à la hauteur de ses responsabilités, et de ce qu’il représente dans la société", a-t-il lancé à la barre. "C’était bien à Philippe Barbarin de le dénoncer, il nous aurait fait gagner 17 ans", a renchéri Christophe Burdet, une autre des victimes constituée partie civile. "Si Barbarin avait foi en Dieu, il aurait réglé le problème, mais il avait juste foi en sa carrière."
L’audience doit se prolonger vendredi avec les plaidoiries de la défense ainsi que par le réquisitoire de l’avocat général.
(Edité par Jean-Stéphane Brosse)