par Emmanuel Jarry
PARIS (Reuters) - Après des semaines de silence sur la crise qui agite la CGT, le secrétaire général de la première centrale syndicale française a lancé une contre-offensive médiatique face aux nombreux appels à sa démission émanant de l'intérieur de sa propre organisation.
Sur France 3 jeudi, au Parisien et à France Info vendredi, Thierry Lepaon a tenu le même discours, à trois semaines de réunions cruciales du "gouvernement" et du "parlement" de la CGT - sa commission exécutive (CE) et le comité confédéral national (CCN) - qui doivent statuer sur son sort les 6,7 et 13 janvier.
La question de sa démission "ne se pose pas en ces termes" ; si les instances dirigeantes pensent qu'il est temps de changer de secrétaire général, il "prendra ses responsabilités" mais il ne sera pas "le rat qui quitte le navire" en difficulté.
"Mon but est de rassembler la CGT", explique-t-il au Parisien. "Si je n'y arrive pas, j'en tirerai les conséquences. Mais aujourd'hui, ce qui m'intéresse, c'est de savoir pourquoi certaines organisations souhaitent ma démission."
Il s'efforce aussi dans ses déclarations de redresser une image ternie par les révélations sur la rénovation de son domicile de fonction et de son bureau ou sur la prime de 26.650 euros perçue quand il a quitté ses fonctions en Normandie.
"Je ne suis pas bling bling, je vis modestement", dit au Parisien Thierry Lepaon, selon qui toute dépense supérieure à 10.000 euros sera désormais soumise au bureau confédéral.
Selon un responsable du syndicat, le numéro un de la CGT, qui s'était déjà expliqué sur son train de vie en interne, a pris conscience d'un "manque évident de communication" et de la nécessité de rompre avec la posture de "citadelle assiégée" qui a été jusqu'ici celle de son organisation.
DISCRÉDIT
Un changement de stratégie d'autant plus notable que Thierry Lepaon et ses soutiens n'ont eu de cesse jusqu'ici de dénoncer une "campagne médiatique" alimentée, selon eux, par des fuites provenant de l'intérieur de la CGT.
Thierry Lepaon et ses partisans espèrent que cet effort de "transparence" permettra de "dégonfler" les fuites qui ont déclenché la crise et d'enrayer la désaffection de la base.
Ils s'efforcent de faire porter la responsabilité de la tourmente sur les neuf autres membres du bureau confédéral.
"Le bureau est complètement discrédité", explique un de ces dirigeants. "C'est une juxtaposition de personnes incapables de travailler ensemble et de mettre en oeuvre les orientations du dernier congrès ou de préparer le suivant. Il faut qu'il parte."
D'où la proposition émise mardi en CE par des soutiens de Thierry Lepaon, dont le chef de la fédération de la métallurgie, Philippe Martinez : une démission du bureau à l'exception de Thierry Lepaon, qui resterait pour former une nouvelle équipe.
"La question essentielle est de savoir s'il peut retrouver une autorité sur l'organisation. Si c'est le cas, c'est sans doute la meilleure solution", estime un dirigeant de fédération resté fidèle au successeur de Bernard Thibault.
Cette proposition fait hurler les détracteurs du secrétaire général, qui y voient une manoeuvre pour rester coûte que coûte à la tête de la CGT et composer une nouvelle équipe "à sa main".
"Ça frise le ridicule", s'insurge l'un d'eux. "Le problème n'est pas les rats qui quittent le navire, c'est le commandant, qui doit partir. Et s'il y a des problèmes avec l'équipage, ce sera au nouveau commandant d'en changer."
UNE CGT "COUPÉE EN DEUX"
D'autres voient dans sa contre-attaque médiatique une volonté de profiter de la trêve des confiseurs pour tenter de renverser la situation à son profit.
"Ça ne marchera pas", estime un de ses opposants, selon qui contrairement à ce qu'avance Thierry Lepaon, "au moins un tiers" des membres de la CE ont demandé son départ.
D'autres détracteurs du leader de la CGT sont plus nuancés.
"Ça peut marcher. Il a encore des soutiens. L'organisation est très légitimiste et peut encore basculer", estime l'un d'eux, selon qui le secrétaire général se battra jusqu'au bout.
Pour l'heure, l'assemblée générale, lundi, des dirigeants d'unions départementales et de fédérations, préfiguration du CCN du 13 janvier, "a montré une organisation coupée en deux", admet un partisan de Thierry Lepaon sous couvert de l'anonymat.
Pour Alain Alphon-Layre, chargé des questions du travail à la direction de la CGT, comme pour d'autres dirigeants, la crise dépasse en réalité le sort de Thierry Lepaon.
"Nous sommes confrontés à des problèmes politiques liés à notre stratégie revendicative et des problèmes d'organisation", explique-t-il. "La structuration de la CGT et son fonctionnement pyramidal ne sont plus adaptés à la réalité du salariat et chaque fédération a tendance à faire un peu ce qu'elle veut."
Un chantier pour la prochaine équipe, quelle qu'elle soit.
(Edité par Yves Clarisse)