par Caroline Pailliez
PARIS (Reuters) - Loin des grandes manifestations de 1995 qui mobilisaient des millions de personnes, le syndicalisme de confrontation n'a plus la cote en France, estime Muriel Pénicaud dans une interview à Reuters, alors que se tient jeudi une nouvelle journée de mobilisation contre la réforme du Code du travail.
Le modèle de "flexisécurité à la française" que la ministre du Travail s'est engagée à développer contre le chômage de masse se heurte à des résistances parmi les syndicats, divisés sur la question, mais l'opposition est sans commune mesure avec les mouvements de 1995 et 2006.
"Aujourd'hui, autant il est important qu'il y ait des formes d'expression fortes, autant il y a beaucoup de salariés qui pensent que ce n'est pas sous cette forme-là" qu'ils se feront entendre, juge Muriel Pénicaud.
"Il y a bien d'autres manières que la grève", souligne-t-elle. "S'ils ont plus leur mot à dire dans l'entreprise à travers leurs représentants, je pense qu'on ira, d'une certaine façon, vers plus de progrès social", explique-t-elle pour justifier sa réforme.
"Je pense qu'on a quelque chose de plus robuste dans le temps si le travail fait parti des éléments de succès de l'entreprise et donc si les représentants des salariés ont une place importante."
Pour la ministre, "on a vu au fil des années une évolution : les syndicats dits réformistes, dits dans une logique de co-construction exigeante, gagnent du terrain élections après élections".
"Le syndicalisme plus réformiste va être pour moi celui qui va tirer le plus parti des ordonnances. On fait le pari du dialogue social au plus près du terrain. Il y aura beaucoup plus de choses négociables dans l'entreprise et dans la branche", souligne la ministre.
Pour autant, ajoute celle qui a dirigé les ressources humaines de Dassault Systèmes (PA:DAST) de 2002 à 2008 et du groupe Danone (PA:DANO) de 2008 à 2014, "ce serait grave" si le syndicalisme disparaissait.
"PARTAGE DE LA VALEUR AJOUTÉE"
En avril, la CGT a cédé sa place de premier syndicat dans le secteur privé à la CFDT, considérée comme plus réformiste. Le troisième syndicat en importance, Force ouvrière, qui était vent debout contre la loi Travail en 2016, s'est prêté cet été au jeu des concertations. Il a seulement rejoint le mouvement de contestation après avoir essuyé les critiques de sa base.
Autre signe de cette évolution des mentalités, selon Muriel Pénicaud : la diminution constante du nombre de journées de grève en France.
Selon le ministère du Travail, le nombre de jours non travaillés pour fait de grève est passé de 3,5 millions en 1975 (entreprises publiques du secteur des transports comprises) à 783.000 en 1995, une baisse continue depuis lors.
Muriel Pénicaud considère que le climat social s'est en partie apaisé car "de plus en plus de chefs d'entreprise sont pour le management participatif" : ils "pensent que le partage de la valeur ajoutée, ça a du sens" et "qu'il faut écouter les salariés et leurs représentants".
Ce nouvel état d'esprit, mais aussi la méthode utilisée par le gouvernement, expliquent pour la ministre la réussite de la réforme du Code du travail.
"On a une conviction au départ, ensuite on fait énormément de concertations", dit-elle. "Beaucoup d'écoute et ensuite une décision claire qu'on porte devant le Parlement. Il faut les quatre temps."
Elle compte poursuivre sur cette voie pour les prochaines réformes de la formation professionnelle, de l'apprentissage et de l'assurance chômage, qui doivent aboutir à un projet de loi commun en avril 2018. et
"Il n'y a pas de raison que la cinquième puissance économique du monde ait un taux de chômage de jeunes de 25%."
(Avec Leigh Thomas, édité par Sophie Louet)