par Jean-François Rosnoblet
MARSEILLE (Reuters) - Les salariés de l'ex-usine Fralib de thés Lipton de Gémenos, près de Marseille, s'apprêtent à remettre leurs machines en marche au premier trimestre 2015 grâce aux indemnités versées par le géant Unilever et pour leur propre compte cette fois.
Cette coopérative, née après cinq années de lutte des salariés pour maintenir l'activité, est un symbole de l'économie solidaire que veut développer le gouvernement, un modèle "gagnant-gagnant" qui ne se termine pas toujours bien.
Le ministre de l'Economie, Emmanuel Macron, a réservé sa première visite de terrain, début septembre, à la plus ancienne et la plus importante coopérative de France, Acome à Mortain (Manche), où 1.400 salariés fabriquent du matériel électrique.
Son prédécesseur Arnaud Montebourg, comme avant lui le candidat à la présidentielle François Hollande, avaient préféré se rendre sur le site Fralib, dont les salariés s'opposaient au géant anglo-néerlandais de l'agroalimentaire Unilever.
L'usine a été le seul site de fabrication en France des thés Lipton et des infusions Eléphant, une marque créée en 1896 à Marseille, avant que la multinationale décide sa fermeture définitive en 2012 et le licenciement des 182 salariés.
Au terme de 1.336 jours d'occupation des locaux par 77 salariés, ces derniers ont fini par arracher en mai dernier près de 20 millions d'euros sous forme d'indemnités de licenciement ou encore pour le rachat des machines.
Unilever vient de solder ses obligations avec le versement de 2,85 millions d'euros sur les comptes de la société coopérative et participative (Scop), qui s'ajoutent aux 177.000 euros de capital de démarrage financé par les 58 coopérateurs.
CERTIFICATION BIO
Une cinquantaine de salariés de l'ex-Fralib devenu ScopTi doivent les rejoindre dans les trois ans, dont 31 dès 2015 avec la remise en marche de l'usine à la fin du premier trimestre.
"On a remis en état l'usine, on l'a nettoyée de fond en comble pour obtenir une certification bio qui vient de nous être octroyée", explique Gérard Cazorla, l'ex-délégué syndical devenu président de la nouvelle structure.
"Rien n'est simple, mais c'est la première fois que l'on va passer un vrai Noël après presque cinq ans de lutte. C'est déjà un sacré cadeau que nous nous sommes fait", conclut l'ouvrier devenu patron de la coopérative, confiant dans l'avenir.
Selon le syndicat national du thé et des plantes à infusion, plus de 7.000 tonnes de thé et environ 3.000 tonnes d'infusions ont été consommées l'an dernier en France, pour des montants estimés respectivement à 558 et à 69 millions d'euros.
Une part non négligeable est commercialisée par les grandes surfaces, souvent sous la forme de marques de distributeurs.
Les salariés de ScopTi ont donc fait de la conquête des rayons de la grande distribution leur objectif premier, mais ils veulent aussi commercialiser leur marque en se positionnant sur des infusions à base de produits régionaux ou sur du thé vert haut de gamme en partenariat avec une coopérative du Vietnam.
"ON APPREND TOUS LES JOURS"
Le projet global prévoit une montée progressive de la cadence des chaînes de fabrication, de 350 à 650 tonnes de sachets en trois ans.
"On veut rester prudent. Si des opportunités se présentent, on saura y répondre avec un outil industriel adapté à un plan de charge bien plus important", dit Gérard Cazorla. "On s'attend à ce que ce soit difficile. On apprend tous les jours mais on avance bien, à notre rythme."
Il semble s'agir d'un mouvement de fond. De 1.500 en 2001, les Scop sont passées en France à 2.252 à la fin 2013. Elles emploient près de 46.000 salariés et génèrent un chiffre d'affaires consolidé de 3,9 milliards d'euros.
Portées par un contexte favorable à leur développement, elles intéressent le gouvernement qui les encourage.
"Les salariés comprennent le quotidien et les contraintes de l'entreprise. Et l'entreprise s'enrichit de ce point de vue. Il n'y a pas d'opposition stérile", avait déclaré Emmanuel Macron lors de sa visite dans la Manche.
Les pouvoirs publics voient surtout dans la Scop un modèle susceptible de préserver les emplois et de sauver l'entreprise.
"Ce n'est pas une recette miracle. La Scop ne peut sauver une entreprise en perdition dont le business plan n'est pas viable", nuance un expert du secteur.
Sur les quelques 200 Scop créées chaque année, moins de 5% sont issues de redémarrages d'entreprises en difficulté, selon la Confédération des Scop.
La très large majorité des créations sont des nouvelles entreprises ou des entreprises transformées en Scop à la suite du départ à la retraite du dirigeant fondateur.
La réussite du groupe Chèque déjeuner, devenu le numéro trois mondial sur le marché des titres de services prépayés avec un volume d'affaires de 5,8 milliards d'euros et 26 millions de bénéficiaires dans 14 pays, reste un exemple isolé.
"On se sert des expériences malheureuses pour ne pas renouveler les mêmes erreurs. On est confiants dans notre avenir même si les doutes existent toujours", admet Gérard Cazorla.
(Edité par Yves Clarisse)