par Chine Labbé
PARIS (Reuters) - Le Conseil constitutionnel a validé vendredi la possibilité de déchoir de sa nationalité un binational naturalisé français et condamné pour des faits de terrorisme, une mesure que la droite souhaite systématiser après les attentats qui ont fait 17 morts.
Les "Sages" ont jugé cette disposition du Code civil conforme à la Constitution.
Le gouvernement, qui a annoncé mercredi de nouveaux moyens de lutte contre le terrorisme, y voit un renfort supplémentaire.
"Nous ne devons en aucun cas nous priver des moyens que nous donne la loi pour faire valoir nos valeurs", a déclaré Manuel Valls en marge d'un déplacement en Seine-et-Marne.
Le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, précise dans un communiqué que "le gouvernement entend continuer à prendre cette décision de déchéance (...) dès lors que les conditions légales seront réunies".
Le Conseil constitutionnel était saisi par le Franco-Marocain Ahmed Sahnouni el-Yaacoubi, condamné en mars 2013 pour association de malfaiteurs en lien avec une organisation terroriste et déchu de sa nationalité le 28 mai 2014.
Il estimait que l'article 25 du Code civil, qui prévoit qu'un binational naturalisé peut être déchu de la nationalité, notamment s'il est condamné pour un "acte de terrorisme", n'était pas conforme à la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen et constituait une rupture d'égalité entre les Français de naissance et les Français naturalisés.
"La différence de traitement instituée dans un but de lutte contre le terrorisme ne viole pas le principe d'égalité", estime le Conseil constitutionnel dans un communiqué.
En 1996, les "Sages" avaient déjà validé cette disposition du Code civil, mais les délais d'application ont depuis lors été allongés.
L'avocat d'Ahmed Sahnouni el-Yaacoubi, Me Nurettin Meseci, a regretté "le contexte émotionnel", défavorable selon lui à son client, dans lequel cette décision a été rendue.
PAS DE PRÉCIPITATION, RÉPÈTE VALLS
Le cas de ce Franco-Marocain reviendra désormais devant le Conseil d'Etat, que l'avocat entend notamment questionner sur la composition du Conseil constitutionnel, dont, estime-t-il, "la proximité avec le pouvoir doit tous nous interroger." Il entend également saisir la Cour européenne des droits de l'Homme.
Le sort d'Ahmed Sahnouni el-Yaacoubi fait toutefois peu de doutes, le Conseil d'Etat ayant une jurisprudence constante sur le sujet et n'ayant jamais annulé un décret de déchéance, selon une source judiciaire.
Si le Maroc persiste à demander son extradition, la France, qui n'extrade pas ses nationaux, pourra par la suite engager cette procédure devant la cour d'appel de Paris. Son éventuelle extradition pourrait toutefois s'avérer compliquée, la coopération judiciaire entre les deux pays étant suspendue depuis fin février 2014.
Si le Maroc renonçait à le réclamer, le gouvernement français pourrait alors prendre un arrêté d'expulsion, susceptible de recours devant le Conseil d'Etat.
Ahmed Sahnouni el-Yaacoubi a été condamné en mars 2013 à sept ans de prison ferme et cinq ans de privation de ses droits civiques, civils et familiaux pour le recrutement sur internet de djihadistes, notamment pour combattre en Afghanistan.
Il n'a pas fait appel de sa condamnation et purge sa peine à la maison centrale de Réau (Seine-et-Marne). Marocain de naissance, ce père de deux enfants avait été naturalisé en 2003.
La déchéance de nationalité n'a été prononcée que huit fois en France depuis 1998, selon une source parlementaire.
Plusieurs députés UMP ont salué la décision du Conseil constitutionnel vendredi et demandé l'extension de cette mesure, notamment aux binationaux nés Français.
"Il ne faut pas inventer de manière précipitée (...) des solutions. Il faut les faire mûrir", a réagi le Premier ministre. "Mais le gouvernement est ouvert."
Manuel Valls a proposé mercredi d'engager une réflexion parlementaire sur une peine d'indignité nationale pour les Français condamnés pour terrorisme, qui ne peuvent être déchus de leur nationalité sous peine de créer des apatrides.
(avec Emile Picy et Julien Ponthus, édité par Sophie Louet)