par Caroline Pailliez
PARIS (Reuters) - Le printemps 2018 ne ressemblera pas à l'automne 1995, qui avait mobilisé des millions de personnes dans les rues pour protester contre les réformes sociales du gouvernement et paralyser le pays, estiment syndicalistes et experts du dialogue social.
Malgré la montée des mécontentements chez les cheminots, les fonctionnaires ou encore les syndicats de salariés, le mouvement de grève qui doit démarrer autour du 22 mars ne prendra pas la forme massive de celui qui avait bloqué l'économie française pendant plusieurs semaines en 1995.
"Aujourd'hui, je ne sens pas (...) qu'au-delà de la SNCF, les salariés ont envie de descendre massivement dans la rue de manière interprofessionnelle", a déclaré mardi le secrétaire général de Force ouvrière, Jean-Claude Mailly, sur France Inter.
Pas question pour le syndicaliste, à la tête de FO depuis 14 ans, d'"envoyer les gens dans le mur".
"On a vu les manifestations. Jusqu'à maintenant, ça n'a pas été des manifestations énormes. Quand on fait du syndicalisme, on a des idées, on a des convictions, on est aussi pragmatique", a-t-il expliqué. "Il y a une phase aujourd'hui où les gens veulent attendre."
Les manifestations de septembre à novembre dernier contre la réforme du Code du travail, qui ont mobilisé au mieux 223.000 personnes dans les rues selon le ministère de l'Intérieur, avaient déjà alerté les syndicats.
Pour le directeur de l'Institut supérieur du travail, Bernard Vivier, la coagulation des conflits n'est pas à craindre pour le moment.
"Le grand rêve mélenchonien d'envoyer un million de personnes dans la rue ne peut pas se réaliser car les forces d'opposition d'extrême gauche ne sont pas en état de marche et les syndicats sont affaiblis. Quant aux étudiants et lycéens, ils ne sont pas non plus organisés pour le 'grand soir'", a-t-il déclaré dans une interview au Figaro du 27 février.
Le front social est d'autant plus incertain que les centrales mettent difficilement leurs divergences de côté.
"UNE MANIFESTATION FOURRE-TOUT"
Les syndicats de cheminots, qui font face à des élections professionnelles en novembre, ne se sont pas parvenus mardi dernier à s'entendre sur une date pour mener une grève unitaire. Ils doivent se retrouver le 15 mars pour continuer les discussions.
Les fonctionnaires, pour leur part, sont réticents à l'idée de défiler dans la rue en compagnie des cheminots, comme le souhaite la CGT, craignant que leur message ne soit éclipsé par la force de frappe de ces derniers.
Selon le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, cette journée d'actions devient une "manifestation fourre-tout".
"Le 22 mars, il y a des appels successifs sur tout un tas de sujets", a-t-il dit lundi sur Public Sénat. "Moi je préfère une manifestation ciblée. Par exemple, le 15 mars on va manifester sur la situation dans les Ehpad (maisons de retraite-NDLR)."
Pour autant, les risques d'embrasement restent présents et Emmanuel Macron ne doit pas penser qu'il dispose d'un permis de réformer sans obstacle, préviennent les syndicats.
"L'Elysée (...) c'est quand même un bunker, c'est un endroit qui isole par la fonction, la tâche mais aussi par le lieu, donc attention", a prévenu Jean-Claude Mailly. "Les gros mouvements ne naissent pas souvent d'une accumulation de conflits, c'est quelque chose qui fait une étincelle."
Pour Laurent Berger, le gouvernement ne peut pas transformer le pays "sans faire avec les corps intermédiaires".
"On a eu à un moment donné un Premier ministre en Italie, qui (...) a dit: 'j'arrive et vous allez voir, ça va transformer, je vais faire mon Job Act'. Il s'est cassé la figure", a-t-il dit en référence à la déconvenue du Parti démocrate de l'ancien Premier ministre Matteo Renzi aux élections législatives et sénatoriales de dimanche en Italie.
"J'entend cette légitimé politique mais je crois qu'il y a aussi l'exercice de la démocratie sociale. Ce n'est pas une concurrence, c'est une imbrication des deux."
(Edité par Yves Clarisse)