par Samia Nakhoul et Ellen Francis
BEYROUTH (Reuters) - Les équipes de sauvetage libanaises continuent mercredi de rechercher d'éventuels survivants de l'explosion qui a secoué la veille le port de Beyrouth et une importante partie de la ville, faisant plus de 100 morts et près de 4.000 blessés, et risque d'aggraver une crise économique déjà historique.
Le président Michel Aoun a déclaré que 2.750 tonnes de nitrate d'ammonium, un produit chimique utilisé pour fabriquer des engrais mais aussi des explosifs, étaient stockées dans le port depuis six ans sans mesures particulières de sécurité, une situation qu'il a jugée "inacceptable".
Il a convoqué un conseil des ministres extraordinaire ce mercredi.
Une source officielles informée des premiers résultats de l'enquête sur les causes de la catastrophe a déclaré que l'explosion était le résultat de négligences.
"On dirait une zone de guerre. Je ne trouve pas mes mots", a déclaré à Reuters le maire de Beyrouth, Jamal Itani, mercredi après avoir constaté l'étendue des dégâts, qu'il a estimés à plusieurs milliards de dollars. "C'est une catastrophe pour Beyrouth et le Liban."
Le directeur de la Croix-Rouge libanaise, George Kettani, a dit qu'au moins 100 personnes avaient été tuées par l'explosion.
"Nous continuons de déblayer la zone. Il pourrait rester des victimes. J'espère que non", a-t-il ajouté.
Il avait auparavant expliqué que la Croix-Rouge et le ministère de la Santé devaient coordonner la répartition des corps entre les morgues, les hôpitaux de la ville étant saturés.
Dans le centre de Beyrouth, de nombreuses façades sont détruites, des meubles jonchent les rues et des habitants sous le choc marchent dans les décombres sur des tapis de bris de verre. Les hélicoptères sillonnent le ciel de la ville et des équipes de plongeurs cherchent d'éventuels disparus dans les eaux du port.
"C'est le coup de grâce pour Beyrouth. Nous sommes une zone de catastrophe; mon immeuble a été secoué, je croyais que c'était un tremblement de terre", a dit Bilal, un sexagénaire vivant dans le centre-ville.
Comme beaucoup de Libanais, il incrimine l'élite politique du pays.
"LE COUP DE GRÂCE"
"On avait déjà une crise économique, les gens sont affamés et ces voleurs, ces pilleurs, est-ce qu'ils vont indemniser les pertes? Qui va indemniser ceux qui ont perdu des êtres aimés?", a-t-il dit.
Le ministre de l'Economie a assuré que le pays, qui compte environ six millions d'habitants, n'était pas menacé par une pénurie de farine malgré la destruction des silos du port, dans lesquels étaient stockés quelque 120.000 tonnes de céréales. De son côté, la banque centrale a annoncé la réouverture des banques jeudi.
Au Le Gray Hotel, gravement endommagé, le gérant, Hassan Zaiter, 32 ans, estime que "cette explosion scelle l'effondrement du Liban". "J'en veux vraiment à la classe dirigeante", ajoute-t-il.
Pour Ali Abdoulwahed, 46 ans, gérant du Café de l'Etoile, non loin du Parlement, "cette explosion nous ramène aux années de guerre".
Les autorités n'ont pas précisé la cause exacte de l'explosion. Une source au sein des services de sécurité et plusieurs médias ont rapporté qu'elle avait été déclenchée par des travaux de soudure dans un hangar.
L'explosion, entendue jusqu'à Chypre, à quelque 160 kilomètres de Beyrouth, a ravivé dans la population libanaise le souvenir de la guerre civile de 1975-1990, durant laquelle la capitale a été régulièrement pilonnée et visée par des attentats à la voiture piégée.
Le Premier ministre, Hassan Diab, a promis les responsables de l'explosion "en paieront le prix".
De nombreux pays ont exprimé leur solidarité avec le peuple libanais et offert leur aide aux autorités, y compris Israël, ennemi historique du pays, l'Iran, principal soutien du mouvement chiite Hezbollah, et l'Arabie saoudite, allié des dirigeants sunnites du pays.
La France va déployer un détachement de la sécurité civile (55 personnes, 15 tonnes de matériels) et six tonnes de matériel sanitaire, ainsi qu'une dizaine de médecins urgentistes, a annoncé l'Elysée.
(Ghaida Ghantous, version française Marc Angrand)